Ce weekend, j’avais pris un RTT vendredi après-midi pour aller faire du J-3 avec Vincent, l’un des instructeur bénévoles des Alcyons, très sympathique, avec qui j’ai notamment eu le bonheur de faire mes quelques vols de voltige. L’objectif était de me faire lâcher sur la 2cv des airs, le petit bidule jaune : le Piper J-3 Cub F-BFBP, un avion de 1945 peu puissant, mal équipé, mais tellement fun.
Ce vendredi donc, en quelques tours de piste, j’ai appris à faire des glissades, apprécié le taux de montée anémique, et finalement commencé à “sentir” le maniement de ce petit avion jaune qui se pilote de la place arrière, l’instructeur (ou l’éventuel passager) étant assis à l’avant. Mais pas de lâché, le plafond gris qui pesait sur le tour de piste ne nous ayant pas permis de faire d’encadrement ni de mania en vol local.
J’y retourne le lendemain, samedi, toujours avec Vincent.
Cette fois-ci il fait beau. Un peu trop beau même : les contrôleurs sont en weekend, et le terrain est en auto-information. Avec cette belle météo, les usagers essayent tant bien que mal de cohabiter dans l’étroit volume d’espace aérien qui entoure Saint Cyr : départs en voyage, la queue-leu-leu aux pompes à essence, verticales pour intégration coincé entre la classe A de Paris et les avions en tours de piste. Et les hélicoptères d’Hélioxygène qui enchaînent des baptêmes vendus sur Groupon. On regrette vraiment l’absence de contrôleur pour arbitrer toute cette activité bourdonnante et, admettons le, un brin dangereuse.
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Un des aspects
roots du Piper Cub, de ceux qui justement le rendent si attachant, c’est qu’il n’a pas de démarreur électrique. Le moteur doit se lancer, littéralement, à la main.
Je commence par brasser l’hélice à vide, pour bien trouver le mouvement correct. Pour éviter tout démarrage intempestif, les cales sont en place devant les roues du train principal, le mélange plein pauvre, les magnétos sont coupés et la clef dans ma poche. Face à l’hélice, j’attrape la pale haute avec le plat de la main et lui fait faire un demi-tour, en passant une compression du moteur. Et je répète le mouvement deux ou trois fois. C’est moins dur que de brasser l’hélice d’un Robin.
Ensuite, on fait quelques injections, une seule en fait car le moteur est déjà chaud de son vol précèdent. Je me positionne devant l’hélice, toujours avec la clef des magnétos dans la poche, et Vincent pousse la manette de mélange sur plein riche. Puis, sur un signal que je lui donne juste avant de tirer un demi-tour d’hélice, il pousse la manette des gaz pour injecter un peu de carburant dans les cylindres, et il appauvrit de nouveau le mélange.
Enfin, c’est le démarrage proprement dit. Cette fois ci, la clef est sur le contact, mais encore sur off. Je vérifie que je ne porte aucun vêtement ou accessoire susceptible de se faire emporter par l’hélice quand elle va s’élancer, et me place une fois de plus les paumes de mains sur la pale haute. Quand je suis prêt, Vincent enrichit le mélange, et passe les magnétos sur
both. Je prends une inspiration. C’est quand même assez impressionnant de penser que ce bout de bois verni qu’on tient à la main va partir à mille tours par minutes, à quelques centimètres de mon visage. J’ajuste ma position, et d’un mouvement net, je tire la pale vers le bas en laissant mon poids m'entraîner d’un pas en arrière, et... rien. Un demi-tour sans même un hoquet du Continental.
Apparemment c’est normal, les 65cv ont un peu de mal à se réveiller quand le moteur est chaud.
Du cockpit, Vincent appauvrit, coupe les magnétos et me montre qu’il la bien la clef dans la main. J’ajuste la pale et me positionne derechef. On recommence une fois, deux fois... Rien. Trois fois... Rien. Ça devient désespérant, et monotone. Encore, clef, magnétos, mélange, un coup sec et... Avec un vrombissement subit, les deux pales disparaissant dans un disque transparent sur lequel danse un reflet de soleil doré. Les quatre cylindres tressautent gentiment de chaque coté, faisant vibrer le capot jaune.
Satisfait, je recule d’un pas, puis fais un large tour le long de l’aile gauche pour repasser derrière le hauban et m’installer à bord.
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Le vent est à peu près perpendiculaire à l’axe des pistes, et c’est la piste 11 qui est en service. Ce qui ne nous arrange pas : à deux, nous sommes chargés dans un avion qui ne monte vraiment pas vite. Et au bout de la piste 11 il y a des arbres qui peuvent être difficiles à passer, surtout sans composante de vent de face pour nous aider. On envisage un instant de faire changer le QFU, mais on est en auto-information, avec cinq ou six avions dans le tour de piste plus quelques autres au point d’arrêt de la 11, c’est illusoire.
En nous pénétrant sur la piste 11 droite, nous nous répétons notre point de sécurité : si nous n’avons quitté le sol dans le premier tiers de la piste, bien avant la tour de contrôle, nous annuleront le décollage. Je remonte la piste autant que possible et m’aligne à l’endroit où l’herbe n’est plus tondue. J’ouvre les gaz et laisse le moteur monter en puissance en gardant les talons sur les freins... Et c’est parti. L’avion cahote sur l’herbe, et je pousse doucement le manche. Immédiatement la roulette de queue quitte le sol, aidant à la prise de vitesse.
Nous décollons bien avant le premier tiers. Mais c’est là que ça commence à être tendu. Le pauvre petit moteur Continental peine à soulever notre poids (maudits soient les Dragibus !) et pendant que l’altitude se gagne au compte goutte (de sueur), la longeur de piste restant avant les arbres de Versailles est consommée à grandes enjambées. Vincent m’aide à garder la bonne vitesse pour avoir le meilleur angle de montée, on reste concentré. Ca monte paresseusement, doucement, et le parc de Versailles passe sous nos ailes, pas bien loin, mais en dessous. J’incline doucement à gauche au dessus du grand canal en continuant de prendre de l’altitude, en route vers le secteur nord de Saint Cyr pour un petit local.
Plus tard, Vincent me confiera que pendant ce décollage, il n’aurait pas songé à faire une plaisanterie. Venant de lui, ça veut dire quelque chose !
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C’est là qu’on regrette vraiment l’absence de contrôle.
Dans notre petit bidule jaune, nous rentrons tranquillement de notre court vol local. A ce moment, à Saint Cyr, il y a des avions dans tous les sens. La radio crépite sans interruption de messages plus ou moins clairs, entre annonces verticales, vent arrière, remise des gaz, piste dégagée. C’est la foire, et nous allons y rajouter une couche.
A 60 mph et 1500 pieds, nous avons un peu le sentiment de nous insérer sur une autoroute chargée avec un vélo. C’est toujours la piste 11 qui est active. En route vers la verticale, j’annonce que je passe les serres - l’ancien point de report de l’entrée nord, plus utilisé aujourd’hui, mais tout le monde sait où c’est, et c’est plus intuitif que “à trois minutes de la verticale”. Un Cessna Skyhawk qui arrive de l’ouest prévient qu’il rejoint lui aussi la verticale. Nous le cherchons du regard et finissons par le repérer en arrivant au dessus de la tour de contrôle. Il est à quelques centaines de mètres derrière, et je le vois se rapprocher par la vitre arrière, brillant de tous ses phares. Inquiet, je demande sur la fréquence s’il nous a en visuel. Pas de réponse. Je reitière, pas mieux. Il est vraiment près maintenant, et c’est difficile d’imaginer qu’il ne nous voit pas, mais sait-on jamais. Presque instinctivement je pousse le manche à droite, serrant au dessus de la ville de Saint Cyr pour lui laisser de la marge. Il finit par nous doubler à une petite centaine de mètres à gauche, pendant que je garde une trajectoire divergeante qui nous amène vers...
“La Lanterne !” s’écrie Vincent, reprenant les commandes et corrigeant le cap à gauche. Omnubilé par le Cessna, je ne faisais plus attention à la résidence de weekend de notre bon président, qui est protégée par une zone interdite de survol. Même si je pense que la rumeur selon laquelle la Lanterne est équipée de batteries de missiles antiaériens pour abattre les avions égarés est exagérée, je suppose que ce genre de survol aurait été mauvais pour la santé de ma license et de celle de mon instructeur.
Avec notre Piper incliné à gauche pour éviter la Lanterne, l’aile me masque la vue du Cessna, mais Vincent a les commandes et un meilleur angle de vue de la place avant qui lui permet de garder le visuel. Ils nous ramène au dessus de l’étape de base, et me rend les commandes.
Le Skyhawk importun désormais bien devant nous, nous rejoignons enfin le tour de piste et atterrissons sans autre problème.
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Le reste du vol est encore émaillé de quelques couacs, sans réelle gravité mais qui participent à l’ambiance désordonnée de ce vol.
Je repars quand même pour un tour de piste solo, un unique car je ne veut pas trop tenter le destin. Décidément, l’auto-information dans un terrain enclavé et fréquenté comme Saint Cyr, c’est pas bon pour les nerfs.
Mais finalement, c’etait un vol sympathique, plein de souvenirs et d’enseignements. Et je suis lâché sur une nouvelle machine qui sera parfaite pour faire des vols locaux en fin de journées d’été.
Et puis nous avons bien rigolé en sortie nord, quand Jean-Charles nous a doublé en faisant quelques figures en P-2002, ou quand nous nous sommes pris en photo par la fenêtre ouverte.