22 juin 2018

Sept mille six cent

Ce vendredi après-midi de mai, il faisait un joli temps printanier. A Saint-Cyr, pas de nuage dans le ciel bleu. L'agréable chaleur d'un soleil motivé se transformait en gentille fraîcheur à l'ombre du saule qui couvre l'entrée du clubhouse des Alcyons. Un vent du nord irrégulier faisait par moment sursauter la manche-à-air posée en bordure de la piste 29 droite.


Pour l'anniversaire de Delphine, nous avions prévu d'aller survoler le château de Chambord, en faisant un arrêt à Blois pour faire le plein d'essence et se dégourdir les jambes. Cette balade allait être ma première navigation en tant que commandant de bord depuis un bon moment. J'en avais donc longuement (certains diraient interminablement) soigné la préparation : traits tracés sur les cartes renouvelées pour l'occasion, centrage, performances pour les terrains prévus, anticipation des déroutements, vérification des disponibilités de carburant, activité des zones et des espaces de contrôle, SUP AIP en vigueur... La matinée avait été passée avec un œil attentif sur les prévisions météo (idéales) et j'avais imprimé le dossier complet ainsi que les derniers notams en arrivant au club.


A notre arrivée à Saint-Cyr, le hangar du haut des Alcyons était fermé et tous les avions bien rangés à l'intérieur : malgré le beau temps, peu de vols en ce jour de semaine travaillé.
Je purgeais et sortis l'avion du hangar - le DR221 FBPKH. La visite prévol ne révéla aucun problème à part un niveau d'huile un peu bas que je complétais. Je rappelais à Delphine quelques règles et procédures - comment grimper dans l'avion, comment attacher et détacher la ceinture, ouvrir la verrière - et contactais la tour pour obtenir le roulage pour l'essence.
Une fois le réservoir rempli, je rappelais Saint-Cyr tour pour demander une sortie ouest. Ayant reçu les instructions de roulage je me rendis vers le point d'attente 29 gauche en amont duquel j'effectuais les essais moteur en continuant à expliquer à Delphine le sens de mes actions. Satisfait que tout était en ordre, j'avançais vers le point d'attente.
"Saint-Cyr tour, prêt au départ point d'attente 29 gauche.
- FPKH, derrière le Cessna au départ, alignez-vous et attendez piste 29 gauche."
Je collationnais et m’exécutais. Le Cessna Skyhawk s'élança et disparut sous la courbure du terrain. Un coup d’œil à droite en passant la bande de peinture qui matérialise le point d'attente pour m'assurer qu’aucun avion n'est en finale, et je m'alignais au milieu de la large piste en herbe tandis que déjà, le Cessna réapparaissait en quittant le sol.
"FPKH, autorisé décollage 29 gauche.
- Autorisé décollage piste 29 gauche, FPKH."
Plein gaz, notre petit DR221 s'élança vaillamment, prit de la vitesse, et bientôt nous quittions le sol à notre tour.
"FPKH, identifié radar."


Il faut que je précise que l'aérodrome de Saint-Cyr est un terrain contrôlé qui ne dispose pas de radar : du haut de leur tour, des contrôleurs aériens orchestrent le ballet des avions aux alentours de l'aérodrome en utilisant uniquement des strips papier, les informations transmises par radio par les pilotes, et leurs yeux (et parfois des jumelles). Ce 18 mai 2018 pourtant, pour la première fois, ils avaient aussi un écran radar. Cet écran améliorait considérablement leur capacité d'interprétation de la situation environnante, en leur présentant visuellement tous les avions évoluant à proximité de l’aérodrome sous forme d’icônes informatiques, chacune légendées avec l'altitude et un code numérique. Ce code - le code transpondeur - est transmis par un équipement installé à bord de l'appareil surveillé (le transpondeur) conformément à un réglage effectué par le pilote sur instruction du contrôleur.


Lors de ma prise de contact initiale, donc, la contrôleuse m'avait demandé de régler un code transpondeur - disons 4024. Lors du décollage, avec la prise d'altitude, j’apparus sur son écran radar avec ce code (je n'était pas visible tant que j'étais au sol) et elle m'en informa par radio :
"FPKH, identifié radar.
- Reçu, FBPKH"
En montée vers 1500 pieds, j'effectuais un virage à gauche vers le sud, puis contournais la pointe de Villepreux en survolant la forêt pour rejoindre la sortie ouest. Nouveau message du contrôle, cette fois-ci une information trafic me signalant que nous allons croiser un hélicoptère qui arrive en sens inverse à la même altitude. Je vérifiais que mes phares étaient bien allumés et scannais le ciel devant moi, repérant rapidement un gros bi-turbine militaire. J'informais la contrôleuse :
"On a visuel de l'hélicoptère, FBPKH."

C'est à ce moment là que les problèmes ont commencé.
Je ne sais pas si j'ai reçu une réponse de la contrôleuse à ce dernier message, mais en continuant ma route vers la sortie ouest, je m’aperçus que je n'entendais plus Delphine dans l'intercom de l'avion. Je lui pointais du doigt l'hélicoptère qui nous croisions en lui racontant que je pensais en avoir identifié le modèle, puis je lui montrais les pistes en herbe sur notre droite en lui expliquant qu'il s'agissait du terrain de Chavenay. Aucune réponse. Dans mon casque, il n'y avait que les bruits étouffés du moteur et de l'air s'écoulant le long de la cellule.


Ce jour là, j'avais sur les oreilles mon casque principal, un Zulu 1 acheté chez Marv Golden à San Diego en 2009, et Delphine portait le vieux Telex entrée de gamme qui m'avait servi pendant toute ma formation initiale. Saisi d'une pointe d'inquiétude, je vérifiais que ces deux casques étaient bien branchés dans leurs prises respectives : ils l'étaient ; que le volume étaient correctement réglé sur mon Zulu : il l'était. Je n'entendais pas Delphine, mais elle semblait bien m'entendre. Peut-être les écouteurs du Zulu étaient-ils défectueux ? Sur la fréquence de Saint-Cyr, aucun message, mais cela pouvait simplement signifier que personne n'émettait pour l'instant. En communiquant par gestes, nous échangeâmes nos casques dans l'espoir de cerner la cause du problème. Dans cette configuration, les rôles étaient inversés : je pouvais entendre Delphine, elle ne m'entendait pas (sur le coup je ne me rendis même pas compte que c'était complètement évident). Et soulagement, je pouvais entendre des messages sur la fréquence de Saint-Cyr, ce qui tombait bien puisqu'il fallait que j'annonce que j'approchais de la la sortie ouest :
"St-Cyr, FBPKH, en sortie ouest pour quitter."
Pas de réponse. Peut-être avais-je parlé alors que la fréquence était occupée par un autre pilote ? Ou peut-être que l'alternat fonctionnait mal ? Je réessayais en m'appliquant à bien presser le métal gris du bouton installé sur le manche. Toujours pas de réponse. L’inquiétude revint d'un coup. Alors que sous l'aile droite glissait la fumée blanche du "VOR" de Chavenay, la contrôleuse m’appela :
"FBPKH, vous êtes en sortie, transpondeur 7000 et vous pouvez quitter la fréquence."
Je collationnais et m’apprêtais à régler le transpondeur sur le code générique, quand la contrôleuse réitéra le message, un peu plus insistante.
"FBPKH, transpondeur 7000 et vous pouvez quitter la fréquence !"
Je collationnais derechef.
"FBPKH, de St-Cyr, vous me recevez ?"
Je la recevais, mais de toute évidence elle ne me recevait pas. L'inquiétude monta d'un cran, accompagnée d'une petite goutte de sueur. J'obliquais vers le nord, décidant d'orbiter à 1500 pieds au dessus des variations de couleurs vertes des champs qui s'étalent entre Chavenay et Thoiry, le temps de prendre la mesure de la situation. Comme j'avais récemment eu des problèmes d'alternats capricieux sur des avions des Alcyons, ce fut la première chose que je vérifiais : un appui ferme sur le bouton, et sur l'écran de la radio un "T" apparut, indiquant le passage en mode transmission et, en principe, le fonctionnement normal de l'alternat. Nouvel essai, hésitant :
 "St-Cyr, FBPKH, essai radio ?"
Pas de réponse. Pourtant cette saleté de bouton d'alternat avait l'air de fonctionner? De temps à autre, j'entendais la contrôleuse essayer de me contacter, mais j'étais incapable de répondre. J'étais en panne de communication. Du fond de ma mémoire émergea le nombre 7600, le code transpondeur à afficher dans l’éventualité d'une panne radio. Ce code s'afficherait sur l'écran radar du contrôle affublé d'une mention clignotante "NOCOM" afin de l'informer de ma situation. Ou était-ce 7500 ? Non 7600. Je tournais une à une les trois molettes du transpondeur : 7, 6, 0, 0.


J'ajustais la trajectoire et l'altitude de l'avion en essayant de ne pas perdre mes repères ni de rentrer dans les zone alpha de Paris. Sur la fréquence de Saint-Cyr, le train-train des arrivées et des départs continuait, indifférent. Le transpondeur clignotait son 7600 consciencieusement. Allais-je devoir rentrer à Saint-Cyr sans radio ? Pourquoi pas, au moins j'avais la chance que la contrôleuse puisse me suivre sur son écran radar : quelques jours plus tôt elle aurait été aveugle à ma situation en plus d'y être sourde. Était-ce peut-être le micro du Telex qui ne fonctionnait plus ? Y-avait-il un micro de secours dans cet avion ?
Et puis une idée : si le problème venait de l'alternat, pourquoi ne pas essayer de déclencher l'émission avec celui du manche de droite ? Tendant le bras au dessus des jambes de Delphine, je pressais le bouton et constatait que le "T" s'allumait normalement. Je lançais :
"St-Cyr, FBPKH, pour un essai radio ?"
"FBPKH, St-Cyr, je vous reçoit 5."
Soulagement ! J'avais rétabli le contact ! Je bafouillais :
"On a eu un problème avec la radio, on va annuler le vol et rentrer."
"FBPKH reçu, entrez vent arrière main droite piste 29, rappelez 30 secondes avant la croisée des axes. Ah, et vous pouvez afficher 4032 au transpondeur."
Un peu tremblant, je réglais le transpondeur comme indiqué (et une alerte clignotante dut à cet instant disparaître des écrans de quelques contrôleurs de la région parisienne), et pris la direction de l'aérodrome. Les communications radios étaient un peu inconfortables : ma main gauche devait maintenir devant ma bouche le micro du vieux Telex, et simultanément ma main droite devait aller attraper le manche de droite pour activer l'alternat qui fonctionnait. Mais cela fonctionnait, et le retour à Saint-Cyr se déroula sans plus de problèmes.
Pendant ce temps, le ciel était toujours d'un bleu imperturbable, et les champs d'un vert printanier insolemment décontracté.


Plus tard, de retour chez moi, je démontais le boîtier du Zulu et constatais que le problème initial venait d'une fiche électronique qui s'était déconnectés, rendant les écouteurs inopérants. A part ça, tout était fonctionnel : le micro du Zulu, le Telex, et les alternats du FBPKH. Dans le stress de l'imprévu, je n'avais plus pensé que chaque alternat est connecté à son côté de l'avion : lorsque l'on appuie sur celui de gauche, seul le micro branché à gauche est mis en émission. Or, lorsque j'avais mis le Telex sur mes oreilles, je l'avais laissé branché sur les prises de la place droite. Mes tentatives d'émission avec l'alternat de la place de gauche et un casque/micro branché à droite étaient vouées à l'échec, panne ou pas panne.



10 mai 2018

Premier solo (numéro 2)


Ça faisait longtemps que je n'avais pas volé tout seul. Une éternité.

2012, c'était la fin d'une période aéronautique faste : un farwest solo en 2011, un autre en 2012. Obtention de la variante VP-RU en 2012, un week-end à Aix-en-Provence en TB-20. Des projets de vol de nuit, de voltige, voire (pourquoi pas) de qualification IR, multimoteur...
Et puis en 2013, un, plutôt deux heureux événements m'ont amené à réorienter mes priorités dans une autre direction. En 2013, quatre vols, en 2014 cinq. Rien en 2015, un seul en 2016. Tout ça avec instructeur. En mars 2014, je laissai expirer ma qualification SEP sans même m'en apercevoir.
La SEP - Single Engine Piston - c'est la qualification apposée à la licence PPL qui autorise à voler sur des avions monomoteur à piston.
Cette qualification de classe est valable 2 ans et est prorogée assez facilement avant son expiration, soit par les heures de vols effectuées, soit par un test simple. Une fois la date limite dépassée en revanche, il faut la renouveler en effectuant un programme de ré-entraînement, clôturé par un "vrai" test.
Et puis arriva 2017. Les heureux événements étaient plus grands, plus autonomes. Ils commencaient aussi à demander quand Papa allait les emmener dans "son" avion. Alors, finalement, je m'y suis remis.
Comme la qualification SEP était expirée, il allait falloir en passer par programme d’entraînement officiel et un test en vol. J'ai ressorti mon Cepadues et mon Zilio, acheté les cartes à jour, relu le guide VFR. Je me suis organisé une formation en vol avec les moyens du bord, en jonglant avec les disponibilités des avions et des instructeurs du club : de la mania, des tours de piste, des exercices d'encadrement, de pannes, des virages à grande inclinaison, quelques navigations.
Malheureusement, le solo supervisé qui permet aux élèves en formation initiale de piloter seuls sur autorisation d'un instructeur n'est pas possible pour un pilote dont la SEP a expiré : la dizaine d'heures de vol entre mars et octobre 2017 fut entièrement faite avec des instructeurs à droite.

Le 16 octobre, le test de renouvellement SEP. Pas aussi long que le test PPL de 2008, mais quand même éprouvant. Un vol effectué en fin de journée avec une météo moyenne. Plein d'exercices, le stress de l'examen omniprésent. Le fait que j'ai choisi un avion plus puissant qu'à mon habitude n'a pas aidé non plus. Heureusement, l'examinateur est très sympa, en restant évidemment très sérieux. Au bout de deux heures de vol, quelques remises des gaz, des centilitres de transpiration, et long débriefing au parking, le test était réussi, et la qualification était renouvelée.
Début novembre, je passai au bureau des licences de la DGAC pour faire émettre le nouveau support papier de la licence. Il ne restait plus qu'à me faire relâcher sur les avions du club.

Nouvelle licence, nouvelle qualification.

Et avec l'hiver 2017-2018, ce ne fut pas non plus une mince affaire. Il fallut patienter jusqu'au printemps pour enfin voir le ciel se dégager, me permettant enfin de faire encore quelques vols d'instruction afin de me faire lâcher sur les DR221 et les DR400 des Alcyons.

6 mai 2018, 8h15. J'étais le premier arrivé au club ce matin. J'ouvris le hangar, purgeai et sortis les avions. La visite prévol du DR221 F-BPRT révéla un phare inopérant et un demi litre d'huile à compléter : rien de bien gênant. La semaine précédente j'avais renoncé à deux vols car le vent était un peu fort, mais là la météo était parfaite : pas un nuage, presque pas de vent. Le terrain était contrôlé (plus exactement, il serait contrôlé à partir de 9h00), et comme il était encore tôt il n'y avait pas grand monde en l'air.
Anecdote : Stéphane, l'instructeur qui a assuré ma formation initiale, celui qui a signé ma première autorisation solo en 2006, était présent au club ce matin là. Cette fois-ci pas besoin de sa signature : je m'autorisai tout seul à partir pour mon premier vol solo depuis presque six ans.
Ce fut un vol tranquille, agréable : sortie ouest, entrée nord, quelques tours dans l'air clair au dessus du patchwork de verts printaniers de la campagne l'ouest parisien. Un grand sourire en goûtant une sensation de liberté, d'aisance, de sérénité que j'avais presque oubliée.




Après m'être posé à St Cyr et avoir garé l'avion, je remplis mon carnet de vol, en mettant pour la première fois depuis septembre 2012 des heures dans la colonne "Commandant de bord".


Le vol précédent en commandant de bord, navigation KSEZ (Sedona) - KMYF (Montgomery Field).

22 février 2017

Interception au-dessus de l'Alaska




1er août 1989. C'est la toute fin de la guerre froide.
Quelque part en Alaska, des radars de défense US ont détecté deux avions en transit à haute altitude au-dessus de la mer de Béring. Ce n'est pas une surprise : deux MiG-29 Fulcrum russes sont attendus et doivent transiter au-dessus du territoire américain pour rallier la Colombie Britannique. Dans le cadre de la détente des relations entre les blocs est et ouest, ils vont participer au meeting aéronautique de Abbotsford et y présenter leurs chasseurs dernier cri à un public occidental qui n'avait auparavant pu les entrevoir que sur des photos médiocres ou des vues d'artistes approximatives.
Un vol de quatre chasseurs F-15 Eagle de la 21ème Tactical Fighter Wing est déclenché, décollant de la base d'Elmendorf pour rejoindre les avions russes avant qu'ils n'atteignent la frontière. La rencontre entre les avions de l'OTAN et ceux du Pacte de Varsovie est prévue et amicale, mais va néanmoins donner lieu à une interception effectuée à la lettre des procédures de l'US Air Force.
Une paire de F-15 reste en réserve tandis que les deux autres avions américains convergent quasi-perpendiculairement avec le vol des Fulcrums. A mi-chemin, l'ailier rompt brusquement la formation, et coupa la trajectoire du leader au-dessus et vers la droite pour rejoindre une position offrant de bonnes conditions de tir missile - en arrière et au-dessus des deux appareils interceptés. Pendant ce temps, le leader continue à se rapprocher à grande vitesse des avions étrangers afin de les identifier visuellement - et éventuellement d'indiquer à son ailier de les abattre.
Évidemment, il n'y aura pas de tir de missile ce jour-là. Les Eagles vont escorter les Fulcrums au-dessus de l'Alaska, jusqu'à la frontière canadienne, où ils les confieront à des F-18 canadiens qui les accompagneront jusqu'à Abbotsford.

La photo qui introduit ce post, et qui l'a inspiré a été prise par l'un des F-15 resté en réserve.
En haut, au loin, deux griffures blanches sur le bleu sombre révèlent la présence des deux MiG.
Plus bas, bien au-dessus de la couche soudée des nuages, les deux F-15 en interception dessinent nettement la manœuvre avec les traînées de condensation de leurs moteurs : le leader, tout droit, et l'ailier, virage à droite brusque et passage sur la trajectoire du leader, les cristaux glacés générés par le premier imprimant leur ombre sur ceux du second.

6 septembre 2016

Philae found

Quand on y pense, c'est étrange la tendance que nous avons à nous attacher à des objets sans vie, à leur attribuer des sentiments, une personnalité (comme ça par exemple).
Et tant qu'on pense, c'est incroyable ce que nous, l'humanité en tant qu'entité, sommes parfois capables d'accomplir. La conquête spatiale en est un exemple fascinant. Depuis les documentaires sur Apollo que mon père nous faisait regarder en VHS, à mon frère et moi, les week-ends pluvieux, jusqu'à l'improvisation de vols orbitaux ou de voyages interplanétaires dans Kerbal Space Program, j'ai toujours eu tendance à regarder vers les étoiles en écarquillant grands les yeux. Et ces dernières années, les épisodes Opportunity et Rosetta ont redonné du souffle une aventure qui semble malheureusement en perte de vitesse.


Aujourd'hui, j'apprends que Philae, le robot qui avait été perdu alors qu'il devait explorer la surface de la comète Churyumov-Gerasimenko, a été localisé par la sonde spatiale Rosetta. Elle l'a pris en photo avec une caméra à très haute définition, et l'image ce petit robot, perdu pour toujours entre les énormes aspérités d'un gros rocher lancé à toute vitesse dans le vide spatial, ses pattes vaillamment étendues dans une vaine tentative de se redresser pour accomplir sa mission, rôle unique de sa vide, cette image me rend mélancolique, un peu triste. Étrange.


Plus de détails sur cette aventure spatiale sur le site de l'ESA.


Photo: ESA

17 mai 2016

Hoser Story : no kill like a gun kill !

Dans la seconde moitié des années 1970, le Department of Defense américain organisait un programme d'évaluation tactique aérien. Baptisé ACEVAL/AIMVAL - pour Air Combat EVALuations/Air Intercept Missile eVALuation - ce programme était destiné à mesurer l'efficacité des avions dernier cri de l'US Navy et de l'US Air Force dans des situations de combat auxquelles on estimait alors qu'ils risquaient d'être confrontés, c’est-à-dire opposés à des appareils moins performants et moins technologiques, mais beaucoup moins chers, donc plus nombreux, et emportant des missiles air-air de pointe.


De 1974 à 1978, sur la base de Nellis dans le désert du Nevada, des F-15 de l'Air Force et des F-14 de la Navy - la Blue Force - se livrèrent ainsi à une multitude de combats aériens simulés contre des "agresseurs" F-5E et TA-4 - la Red Force. Nombre de tactiques et de procédures en furent retirées, ainsi que des orientations stratégiques qui ont marqué l'aviation militaire américaine des décennies à venir.
Pour mener à bien ces tests, la crème de la crème des pilotes fut détachée à Nellis par la Navy et l'Air Force. Joe Satrapa - callsign "Hoser" ou "D-Hose" - qui à l'époque volait sur F-14A à la VX-4 (une escadrille d'essais en vol basée à Point Mugu en Californie) était de la partie.

Nevada.

Il faut imaginer l'ambiance.
Les pilotes et RIO de l'US Air Force et de l'US Navy, des personnages aux égos énormes et aux compétences parfaitement affûtées, ayant quasiment carte blanche pour jouer avec des avions coûtant plusieurs millions de dollars. Des journées rythmées par des sorties de combats simulés intenses de quelques dizaines de minutes : décollage, transit vers la zone d'engagement, séparation, merge à plus de 1500 km/h de vitesse relative, fight's on, une à deux minutes d'engagement, une fois, deux fois, tant qu'on a du fuel, knock it off, retour à Nellis au ras du désert poussé par les deux grandes flammes de post-combustion, break à 500 nœuds en passant les chiffres de la piste parce que "si on ne peut pas avoir la classe, ce n'est même pas la peine de se lever le matin". Les débriefings sans concessions où étaient analysés les enregistrements de vol sur des ordinateurs qui aujourd'hui nous paraissent primitifs, mais étaient le summum de la technologie de l'époque. Des tableaux de scores, informels mais primordiaux, listant les kill ratio des équipages. Les soirées passées à imaginer des tactiques toujours renouvelées pour s'adapter aux tactiques toujours renouvelées des adversaires de la Red Force. Bien que l'Air Force et la Navy aient été dans le même camp lors des engagements simulés contre les agresseurs de la Red Force, on imagine aisément que les rivalités étaient grandes, et la tentation de se mesurer face à face à ses homologues de la branche armée d'à côté pressante.

Une salle de débriefing dans les années 1970 à Miramar (Top Gun).

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C'est D-Hose qui raconte. Je traduis, reformule et remet en forme.
Les parties en gras font l'objet d'explications supplémentaires plus bas.
Et ça, c'est pas des conneries !

Vers la fin de AIM/ACE VAL, l'ambiance avait pas mal chauffé entre les pilotes d'Eagle et ceux des Turkey.
Après les dogfights de haute volée qui opposaient chaque jour les Tomcats et Eagles de la Blue Force aux F5Es, les pilotes se retrouvaient souvent au bar de la base de Nellis. Les conversations entre les gars de la Navy et ceux de l'Air Force y étaient inévitablement saupoudrées de challenges plus ou moins sérieux, et de sous-entendus plus ou moins moqueurs quant aux capacités des pilotes rivaux. Comme la hiérarchie de l'Air Force avait formellement interdit aux conducteurs de F-15 de ne serait-ce que penser à croiser le fer avec les Tomcats (sous peine de cour martiale, d'être expédié à Hong Kong pour piloter des avions cargos chargés de merdes de chien en plastique, voire de voir son anniversaire révolu), ces bravades n'avaient jamais été mises à l'épreuve de la réalité.

Ce n'est que quand les sorties de test furent finalement terminées que quelques instructeurs sur F-15 de la 415ème escadrille finirent par mordre à l'hameçon. "Turk" Pentecost et moi-même étions leurs adversaires. Turk était loin d'être aussi sûr de lui, arrogant ou turbulent que D-Hose, mais il était tout aussi agressif, malin, sournois, et absolument aussi bon pilote.
Nous nous mîmes d'accord sur la stratégie : une formation très large, avec une séparation d'altitude de 10000 pieds entre nos F-14, et une identification radar de l'ennemi à 25 milles nautiques par Bill "Hill Billy" Hill et "Fearless" Frank Schumacher. Les missiles radar et thermiques tirés avant le merge ne comptaient pas. Après le merge, c'était au canon uniquement. La formation relâchée permettrait à Turk et D-Hose de séparer l'engagement en deux combats un contre un, avec un Turkey au-dessus, l'autre en bas, et beaucoup de séparation latérale.

Alors que leur Tomcat se rapprochaient de la zone de combat, Hill Billy et D-Hose, confiants, visualisaient déjà leur Eagle virtuellement abattu au canon à 250 pieds de distance. A la radio :
- D-Hose : "Où es-tu Turk ?"
- Fearless : "Juste au-dessus de toi Hoser."
- D-Hose : "On a deux contacts ! Qui passe devant ?"
- Turk (modérément vexé) : "A ton avis ?"
Les deux Eagles furent abattus, "Knock it off" annoncé sur la fréquence, et les Tomcats sont rentrés à la base, couronnant l'action par un break à Nellis à 500 nœuds, 6.5 g, une demi-seconde… Notre salut et marque de respect à l'excellent personnel de maintenance de la VX-4.
Je savais que la pellicule de la caméra-canon de mon Tomcat serait détruite par le labo photo de Nellis. Elle fut donc discrètement envoyée à une connaissance chez Grumman, où elle put être développée.

Environ un mois plus tard, le 6 décembre, le général Knight nous rendit une visite tonitruante. Accompagné de deux officiers béni-oui-oui, il exigea de savoir "qui et où sont Hoser et Turk ?". Falcon (J.W. Taylor), OinC, se leva pour demander comment il pouvait aider. Le général répondit :
-"Vos champions de pilotes de chasse n'ont pas la moindre idée d'à quel point leurs bouffonneries impactent d'importantes décisions politiques !"
Et comme le général Knight nous l'expliqua alors, il s'avère qu'à l'époque, le Japon avait un engagement d'achat pour vingt-et-un F-15, mais qu'un article dans le magazine Aviation Week avait évoqué que le F-14 lui était supérieur. Avec une photo issue d'un film de caméra canon pour appuyer ces informations. Le Japon réfléchissait à présent à acheter des F-14 à la place.
Le général précisa à J.W. qu'il voulait toutes les copies du film, les cassettes TVSU/VCR, et les enregistrements audio, sur son bureau avant 0900 le lendemain. Il était évidemment très remonté en arrivant à Nellis, mais devant l'attitude contrite et humble adoptée par Turk et D-Hose, il considéra sa mission accomplie. Bien entendu, D-Hose et Turk n'avaient aucune envie de mettre la communauté des F-15 dans l'embarras, et ils ne parlèrent plus jamais de cet incident… Jusqu'à aujourd'hui !
Encore quelques mois plus tard, de retour à la VX-4, D-Hose demanda à J.W. :
- "Hé Falcon, je sais que tu t'es gardé une copie de cette pellicule 16mm. Alors, elle est où ?"
J.W. disparu un instant, et revint avec le film que j'ai maintenant à la main.

L'une des photos affichées dans ma "war room" est une image extraite d'un film 16 mm de caméra canon. On y voit un F-15 au travers du HUD d'un F-14, verrouillé radar, à une distance de 250 pieds, vitesse relative zéro, collimateur sur le casque du pilote, canon sélectionné, pas de X sur le G, c’est-à-dire Master Arm ON, détente à moitié engagée (ce qui active la caméra et ouvre les portes de ventilation des gaz canon), et avec… zéro obus restants… ce qui est une bonne chose !


Turkey
Le nom officiel du F-14 est Tomcat, mais la plupart des gens qui l'ont côtoyé préfèrent le surnom affectueux de Turkey (dindon). Vu du porte-avions, le F-14 en approche finale, avec volets et becs grand sortis et toutes les surfaces de vol s'agitant furieusement pour suivre le glide, ressemble à une dinde sauvage débusquée par un chasseur et s'envolant hors d'un buisson.

Rubber dog shit
Référence à Top Gun.

Troisième personne
Apparemment, Hoser aime parler de lui à la troisième personne lorsqu'il raconte anecdote.

RIOs
Bill "Hill Billy" Hill et Frank "Fearless" Schumacher sont des RIOs (officiers radar assis en place arrière des Tomcats), respectivement de Hoser et Turk.

Merge
Le merge - la fusion - est le moment où deux avions, ou deux formations d'avions opposés se rejoignent et se croisent à grande vitesse. C'est habituellement le signal du début du combat.

OinC
Officer in Command, officier responsable.

TVSU/VCR
Television Sensor Unit et Voice Cockpit Recorder. Appareils d'enregistrement de paramètres de vol et de communications intercom, les boites noires du Tomcat.

8 mai 2016

La roue du Cessna


Aujourd'hui, j'ai volé à l'arrière d'un Cessna 172 avec Vincent et Marc-Olivier, pour un café-croissant à Amboise. Ça faisait longtemps que je n'avais pas volé en Cessna 172, et c'est marrant comme certains détails peuvent faire ressurgir des souvenirs (bravo Sherlock me répondrait probablement Proust).
Par exemple, il y a la roue du train principal.



Habituellement, je vole sur des Robin, DR221 ou DR400. Une grosse dizaine d'heures de TB20 pour ma variante VP/RU. Un peu de P2002. Un aller-retour à Bernay en Beech 23 et trente minutes de Cap 10. Tous ces avions sont à aile basse, et dans un avion à aile basse quand on regarde vers le bas, on a la vue du sol largement bouchée par ladite aile.
Le Cessna 172 est en revanche à aile haute, ce qui offre une vue libérée du paysage qui défile sous l'avion, uniquement encombrée par une roue qui pend au dessus du vide. Et la présence de cette roue carénée de blanc, perdue seule à des milliers de pieds de hauteur rend au spectateur le vertige de l'abime.

Comme j'ai quasiment toujours volé en Cessna aux USA, retrouver cette roue au dessus des tâches jaunes du colza d'Ile-de-France a ravivé quelques bons souvenirs...

 KLAX, Special flight rules area.

Bay Tour, Alcatraz.

 En transit quelque part au dessus de l'Oregon.

 Hoover dam.

 Oakland.

 Grand Canyon.

6 mai 2016

Classe 2 : conditions et limitations

J'ai renouvelé mon certificat d'aptitude médicale aéronautique de classe 2 cette semaine.
En cinq ans (la validité du certificat pour les moins de quarante ans), il y a eu assez peu de changements. L'examen à proprement parler n'a pas changé. Le support papier est légèrement différent. La fin de validité, qui était auparavant étendue jusqu'à à la fin du mois d'expiration, est maintenant à date stricte.

Une rubrique m'a pourtant interpellé. Cette rubrique, Conditions - Limitations, est bien connue des pilotes myopes : c'est là que le médecin mentionne le "port obligatoire d'une correction optique". Et justement, sur mon classe 2 de 2016, il n'y a pas inscrit "port obligatoire d'une correction optique", mais un énigmatique "VML". N'ayant remarqué ça qu'en arrivant chez moi, je n'ai pas eu l'occasion de demander au médecin ce que cela signifie : heureusement qu'il y a Internet.

"UML" ? "VML" ?


Le texte européen 2011/015/R a défini une codification par trigramme des limitations de l'aptitude médicale aéronautique (les traductions sont de moi) :


Code Description Traduction
TML restriction of the period of validity of the medical certificate Période de validité restreinte
VDL correction for defective distant vision Correction pour la vision de loin
VML correction for defective distant, intermediate and near vision Correction pour la vision de loin, intermédiaire, et de près
VNL correction for defective near vision Correction pour la vision de près
CCL correction by means of contact lenses only Correction uniquement au moyen de lentilles de contact
VCL valid by day only Valide uniquement de jour
HAL valid only when hearing aids are worn Valide uniquement avec port d'aides auditives
APL valid only with approved prosthesis Valide uniquement avec les prothèses approuvées
OCL valid only as co-pilot Valide uniquement pour la position de co-pilote
OPL valid only without passengers (PPL and LAPL only) Valide uniquement sans passagers (pour les PPL et LAPL seulement)
SSL special restriction as specified Restrictions spéciales à détailler
OAL restricted to demonstrated aircraft type Restreint à un type d'appareil
AHL valid only with approved hand controls Valide uniquement avec les contrôles manuels approuvés
SIC specific regular medical examination(s) - contact licensing authority Examens médicaux spécifiques réguliers - voir avec l'autorité qui a délivré le certificat
RXO specialist ophthalmological examinations Examens ophtalmologiques spécialisés


Dans mon cas, VML signifie donc simplement que la validité de mon médical est soumise au port d'une correction optique (lunettes ou lentilles). C'est comme avant, et effectivement c'est préférable parce que sans elle je ne verrais ni de loin - ce qui se passe hors du cockpit - ni de moins loin - la carte sur les genoux, les instruments qui sont à 50 centimètres des yeux.