18 février 2009

Far West 2008, jour 5-1 : CZBB-KBFI

Samedi 27 septembre 2008

De nouveau, on se lève tôt. Après notre journée de pause bien méritée, nous embarquons pour la plus longue navigation du voyage : mille trois cent kilomètres en trois branches, de Boundary Bay (CZBB) à Oakland (KOAK) en passant par Seattle Boeing Field (KBFI) et Klamath Falls (KLMT).

Le ciel cristallin est parsemé de nuages gris et joufflus dont les ombres viennent régulièrement obscurcir le tarmac de Boundary Bay. Déjà, quantité de petits avions font la queue au bout de la piste 21, faisant résonner l'air frais de la matinée du concert de leurs moteurs.
Nos sacs à la main, nous retrouvons nos avions. Notre N4975F est là où nous l'avons laissé, sagement garé sur le transient parking. Nous le réveillons doucement, le libérant des deux chaînes qui le fixent solidement au sol. Nous retirons la bâche qui l'a tenu au chaud, testons les phares et les feux, sortons les volets, vérifions les gouvernes, chargeons nos affaires dans la soute, et demandons qu'un camion citerne vienne remplir ses réservoirs.
C'est Vincent le commandant de bord. Pendant qu'il s'escrime à actionner le primer pour faciliter le démarrage du moteur, je passe une dernière fois mes notes en revue. Le premier vol de la journée est, comparativement, un saut de puce : seulement deux cent kilomètres jusqu'à Seattle, principalement pour se débarrasser des formalités de douane. Mais avant de mettre cap au sud en longeant le rivage de la baie, Marc-Olivier nous a prévu une petite gourmandise : nous allons nous faufiler vers le nord et faire quelques arabesques juste sous les nuages, à cinq cent pieds au dessus de la cime des immeubles du centre ville.

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Avec un sursaut, le Duchess bondit vers l'horizon. Il accélère rapidement et s'élève sans effort dans l'air calme. Le rugissement de ses deux moteurs, assourdi par le ronronnement du ralenti de notre Cessna, s'estompe dans l'azur. Les pieds sur les freins, bien aligné sur les lignes blanches qui matérialisent l'axe de la piste, Vincent vérifie une dernière fois que tous les systèmes sont dans le vert. Il y a décidément du monde attiré par les cieux ce samedi à Boundary Bay : ça doit faire dix minutes que nous attendons notre tour de décoller, à la queue leu leu dans une file d'attente digne d'un cinéma parisien.
« 75F, cleared for takeoff, runway 21. »
Après une journée au sol, la sensation est ennivrante. La sonorité puissante du moteur plein gaz, les vibrations régulières de la carlingue, les communications crépitantes à la radio, l'aiguille du badin qui se déroule autour du cadran, et le ciel qui nous attend. Sous nos roues, les aspérités du bitume se brouillent en de longues stries grises et floues. Nous décollons à notre tour.
Nous prenons de l'altitude et obliquons vers la droite pour passer au dessus de Coal Pile, une presqu'île artificielle effectivement couverte de monceaux de charbon noirs et tristes. Un peu plus loin, l'embouchure du fleuve Fraser est constellée d'une multitude de barges chargées de troncs d'arbres débités, tâches brunes sur le gris sombre de l'eau froide.
Les installations de Vancouver International sont déjà visibles derrière les filets nuageux, le soleil timide se reflétant parfois sur l'une des nombreuses surfaces vitrées de l'aérogare. Nous sommes autorisés à transiter à deux mille pieds, juste au dessus du traffic incessant des gros porteurs et des milliers de passagers en transit. Vincent négocie avec le contrôleur pour esquiver quelques gros nuages et maintenir les conditions de vol à vue, osant même placer un « Request immediate climb to maintain VFR conditions ! ». Et nous grimpons jusqu'à trois mille pieds, redescendons à deux mille cinq cent, éfleurons un stratocumulus du bout de l'aile ; nous passons midfield de Vancouver International sans même le réaliser. Les nuages se font moins denses, et d'un seul coup, la ville surgit sous le nez de notre Cessna.



Vincent quitte la fréquence de Vancouver Tower et passe avec les contrôleurs de Harbour Tower. C'est cette petite tour perchée sur un immeuble (celle qui s'occupe du trafic des hydravions dans la baie) qui va nous suivre lors de notre survol du centre ville. En suivant leurs instructions, Vincent descend à mille six cent pieds et commence à orbiter, counter-clockwise.
La vue est saisissante, et plus encore pour des pilotes habitués au carcan de la réglementation française en matière de survol d'agglomérations. Les buildings jaillissent du sol, forêt de béton et de métal aux cimes inégales, blottie entre le fleuve et la baie. Les tours de verre étincellent, Stanley Park est d'un vert profond et humide, et l'eau grise et matte de la baie accroche parfois un rayon de soleil qui la pare de rubans d'argent. Et plus loin, les Coast Mountains, toujours coiffées d'imposantes auréoles de nuages.
C'est incroyable les détails qu'on arrive à distinguer. Des grues immobiles autour d'un chantier encombré de matériaux, une rangées d'arbres rougissants qui borde une avenue, les voiles immaculées de Canada Place, les formes massives des cargos ancrés dans la baie, les sillons d'écume laissés par les hydravions, les voitures qui se croisent sur le Lion's Gate Bridge... On a ce sentiment grisant d'embrasser tout le paysage, de l'avoir entièrement à portée de la main.



Christophe et Marc-Olivier, qui ont fait un détour par l'ouest, nous rejoignent peu après et se mettent eux aussi à tourner au dessus de Vancouver, à mille huit cent pieds pour assurer une séparation entre leur Duchess et notre Cessna. Ils repartent rapidement, mais Vincent et moi, fascinés, oublions que nous avons un rendez-vous précis avec les douaniers de Seattle. Nous nous laissons porter par la magie de l'instant : encore une boucle, une autre...
Finalement, nous annonçons à Harbour Tower que nous souhaitons poursuivre notre route. Vincent en profite pour remercier chaleureusement le contrôleur incrédule, insistant sur la beauté de la ville. Peut-être que ce monsieur se souviendra de ces étranges français aussi longtemps que nous nous rappellerons ce vol.



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Nous sommes de retour au dessus du sol américain. En suivant l'Interstate 5 qui longe la côte jusqu'à Seattle, nous redécouvrons le paysage que nous avons survolé deux jours plus tôt. Alors écrasées sous le mauvais temps, les nombreuses îles qui parsème la baie de Seattle nous avaient paru infranchissables, menaçantes dans leur linceul de brume. Aujourd'hui, elles sont paisibles, verdoyantes, inoffensives sous un ciel clair moucheté de quelques cumulus élevés. Nous sommes en flight following, la visibilité est excellente, le GPS confirme notre position. Je m'amuse à nommer les terrains et les villes que nous dépassons, Vincent vérifie ses notes pour l'arrivée. Nous profitons.



En nous rapprochant de Seattle, nous ne sommes pas certains d'avoir été autorisés à pénétrer dans la classe Bravo qui protège les nombreux aéroports de la ville. Il y a beaucoup de chatter à la radio, et Vincent décide de faire un 360 en attendant de pouvoir en placer une. Je me rappelle Marc-Olivier pendant le briefing au sol du BFR, un mois plus tôt à Paris :
« Aux USA, s'il y a une chose avec laquelle il ne rigolent pas, ce sont les classes Bravo ! Ne rentrez pas dans une classe Bravo sans autorisation ! »
Mieux vaut être sûr, nous faisons un second 360. Vincent parvient finalement à poser la question à la contrôleuse. Elle s'en étonne : évidemment que nous sommes autorisés, dépechez vous d'aller vous poser, arrêter de faire des ronds dans mes espaces !
Nous passons juste à coté du centre de Seattle, encore des tours vitrées, et la flèche blanche et élancée de la Space Needle, emblématique de la ville. Vincent s'aligne sur une longue finale, piste 13 gauche, au dessus des rails d'une gare de triage, et nous obtenons notre premier cleared to land de la journée. Au loin, le mont Rainier, couronné de neige, domine le paysage.

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« Please stay in the plane sir. Which one of you is the pilot ? »
Nous sommes à l'heure, mais le douanier est peu affable. Il s'empare de la licence de Vincent et entreprend de scanner notre avion avec un appareil mystérieux. Nous nous demandons ce qu'il cherche. Drogues, explosifs ? Christophe et Marc-Olivier se dégourdissent les jambes en nous observant. Ils sont arrivés avant nous et ont déjà réglé les formalités.
Le douanier semble satisfait de son inspection. Il nous invite à le suivre dans un bureau où il termine les vérifications d'usage. Il se détend un peu et nous discutons avec lui pendant qu'il tamponne nos passeports.
Officiellement autorisés à fouler de nouveau le sol américain, nous sortons sur le tarmac ensoleillé de Boeing Field / King County. La tête encore pleine des images du vol, nous rejoignons nos camarades : il faut penser à préparer la suite du voyage !



4 février 2009

Far West 2008, jour 4 : Vancouver

Vendredi 26 septembre 2008


Il est onze heures du matin. Attablés autour d'un étonnant brunch canadien, nous savourons la première grasse matinée du séjour. Après le coup de stress de la veille, nous avons décidé de nous offrir une journée de pause : personne ne monte dans un avion aujourd'hui. Marc-Olivier, qui connait bien la ville, nous propose de nous en faire une visite touristique avant que nous nous attelions à la préparation de la navigation du lendemain.

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Première étape, Stanley Park.
Cette presqu'île boisée de quatre cents hectares est collée à la ville : en quelques secondes, nous quittons l'ombre imposante des immeubles du centre ville et nous nous retrouvons en pleine nature. Nous garons la voiture de location sur un parking payant (géré par Vinci !) et commençons à arpenter tranquillement la route qui boucle autour de Stanley Park. Le panorama est étrange, un peu incongru, mais c'est très beau. Sur notre droite, derrière un petit port de plaisance, la skyline de Vancouver se reflète dans l'eau calme de la baie, les hautes tours vitrées se découpant à contre jour sur le blanc aveuglant du ciel. A gauche, le parc est paré de couleurs automnales, nuances de rouge et d'ocre éclaboussant le vert sombre des conifères. La baie est sillonée de navires de plaisance et de tourisme qui naviguent entre les gros cargos marchands ancrés ici et là, immobiles et massifs. Plus loin, de longues digues bétonnées couvertes de grues métalliques, d'immenses tas de souffre et des empilements de conteneurs multicolores... tout un ensemble portuaire industriel qui contraste avec les belles montagnes boisées qui dominent le paysage, les restes cotoneux du mauvais temps de la veille posés sur leurs sommets.



Nous nous arrêtons à Brockton Point, au pied d'un phare rouge et blanc solidement campé au bord de l'eau. Accoudés à la balustrade métallique, au milieux des promeneurs et des joggeurs, nous nous laissons fasciner par le ballet des hydravions qui décollent et ammerrisent sans arrêt dans la baie. Il y en a aussi une bonne dizaine qui sont attachés à un ponton au pied des immeubles. Ballotés sur leurs flotteurs par une légère houle, ils attendent de que leurs passagers embarquent pour rejoindre, probablement, l'île de Vancouver. Perché au sommet de la tour du Vancouver Sun, la tour de contrôle de Vancouver Harbour orchestre tous ces mouvements. Nous ne le savons pas encore, mais demain nous serons en contact avec eux.
Nous prenons des photos, Vincent filme, nous profitons.

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Seconde destination touristique, Lynn Canyon.
Après avoir traversé le Lion's Gate Bridge qui relie Stanley Park au nord de la baie de Vancouver, nous tournons un peu en rond dans les rues tracées à l'équerre de la banlieue résidentielle, et nous finissons par nous garer dans un parking de terre caillouteuse au milieu de la forêt. Si d'aller se promener dans Stanley Park, c'est comme un pique-nique au bois de Boulogne, Lynn Canyon, c'est carrément les Vosges à vingt minutes de Paris. Nous déambulons sur des sentiers de terre humide, dans l'ombre d'arbres noirs et immenses. Difficile de croire que la ville est juste à coté : des cascades écumantes déférlent au fond de gorges encaissées. Un pont suspendu, vertigineux, enjambe un profond canyon. D'épuisants escaliers en bois escaladent des buttes de rochers mousseux.
Des panneaux mettent en garde le visiteur imprudent contre une variété de possibilités de se blesser ou de se tuer, petits dessins pédagogiques à l'appui. Des pancartes sont fixées sur les grillages qui protègent la plupart des falaises, répétant en lettres rouges les dangers de chutes mortelles : Do not go beyond this fence. Area is extremely hazardous and has claimed several lives. Rassurant...
Christophe et Marc-Olivier nous expliquent que les étranges poignées des poubelles sont conçues pour éviter que les ours ne puissent les piller.
Non finalement, ça n'est pas vraiment les Vosges. Mais c'est magnifique.



Vincent filme toujours.
« A bientôt sur Youtube. » annonce-t-il à la caméra après nous avoir immortalisés au bord d'une plage de petits galets brillants, profitant d'un des rayons de soleil qui viennent de temps à autre éclabousser les alentours.



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Nous retournons à Vancouver et faisons quelques courses. J'achète surtout des chaussures, car mes pseudo-Converse n'ont pas résisté à cette journée de marche et commencent à me faire sacrément mal au pieds.
En cherchant notre hôtel, nous faisons une pause au bout de la piste 26 droite de l'aéroport international. Collés au grillage, les flashs puissants de l'éclairage de nuit clignotant régulièrement dans la pénombre de la fin de journée, nous assistons au décollage d'un MD-11 qui s'élève, doucement, dans les nuages rosés du soleil couchant.



Il fait nuit quand nous finissons par trouver notre hôtel. A peine les bagages posés dans les chambres (et les vieilles Converses jetées à la poubelle), nous déménageons des tables et étalons nos cartes : demain, fini le tourisme, nous rentrons à Oakland.