De nouveau, on se lève tôt. Après notre journée de pause bien méritée, nous embarquons pour la plus longue navigation du voyage : mille trois cent kilomètres en trois branches, de Boundary Bay (CZBB) à Oakland (KOAK) en passant par Seattle Boeing Field (KBFI) et Klamath Falls (KLMT).
Le ciel cristallin est parsemé de nuages gris et joufflus dont les ombres viennent régulièrement obscurcir le tarmac de Boundary Bay. Déjà, quantité de petits avions font la queue au bout de la piste 21, faisant résonner l'air frais de la matinée du concert de leurs moteurs.
Nos sacs à la main, nous retrouvons nos avions. Notre N4975F est là où nous l'avons laissé, sagement garé sur le transient parking. Nous le réveillons doucement, le libérant des deux chaînes qui le fixent solidement au sol. Nous retirons la bâche qui l'a tenu au chaud, testons les phares et les feux, sortons les volets, vérifions les gouvernes, chargeons nos affaires dans la soute, et demandons qu'un camion citerne vienne remplir ses réservoirs.
C'est Vincent le commandant de bord. Pendant qu'il s'escrime à actionner le primer pour faciliter le démarrage du moteur, je passe une dernière fois mes notes en revue. Le premier vol de la journée est, comparativement, un saut de puce : seulement deux cent kilomètres jusqu'à Seattle, principalement pour se débarrasser des formalités de douane. Mais avant de mettre cap au sud en longeant le rivage de la baie, Marc-Olivier nous a prévu une petite gourmandise : nous allons nous faufiler vers le nord et faire quelques arabesques juste sous les nuages, à cinq cent pieds au dessus de la cime des immeubles du centre ville.
Le ciel cristallin est parsemé de nuages gris et joufflus dont les ombres viennent régulièrement obscurcir le tarmac de Boundary Bay. Déjà, quantité de petits avions font la queue au bout de la piste 21, faisant résonner l'air frais de la matinée du concert de leurs moteurs.
Nos sacs à la main, nous retrouvons nos avions. Notre N4975F est là où nous l'avons laissé, sagement garé sur le transient parking. Nous le réveillons doucement, le libérant des deux chaînes qui le fixent solidement au sol. Nous retirons la bâche qui l'a tenu au chaud, testons les phares et les feux, sortons les volets, vérifions les gouvernes, chargeons nos affaires dans la soute, et demandons qu'un camion citerne vienne remplir ses réservoirs.
C'est Vincent le commandant de bord. Pendant qu'il s'escrime à actionner le primer pour faciliter le démarrage du moteur, je passe une dernière fois mes notes en revue. Le premier vol de la journée est, comparativement, un saut de puce : seulement deux cent kilomètres jusqu'à Seattle, principalement pour se débarrasser des formalités de douane. Mais avant de mettre cap au sud en longeant le rivage de la baie, Marc-Olivier nous a prévu une petite gourmandise : nous allons nous faufiler vers le nord et faire quelques arabesques juste sous les nuages, à cinq cent pieds au dessus de la cime des immeubles du centre ville.
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Avec un sursaut, le Duchess bondit vers l'horizon. Il accélère rapidement et s'élève sans effort dans l'air calme. Le rugissement de ses deux moteurs, assourdi par le ronronnement du ralenti de notre Cessna, s'estompe dans l'azur. Les pieds sur les freins, bien aligné sur les lignes blanches qui matérialisent l'axe de la piste, Vincent vérifie une dernière fois que tous les systèmes sont dans le vert. Il y a décidément du monde attiré par les cieux ce samedi à Boundary Bay : ça doit faire dix minutes que nous attendons notre tour de décoller, à la queue leu leu dans une file d'attente digne d'un cinéma parisien.
« 75F, cleared for takeoff, runway 21. »
Après une journée au sol, la sensation est ennivrante. La sonorité puissante du moteur plein gaz, les vibrations régulières de la carlingue, les communications crépitantes à la radio, l'aiguille du badin qui se déroule autour du cadran, et le ciel qui nous attend. Sous nos roues, les aspérités du bitume se brouillent en de longues stries grises et floues. Nous décollons à notre tour.
Nous prenons de l'altitude et obliquons vers la droite pour passer au dessus de Coal Pile, une presqu'île artificielle effectivement couverte de monceaux de charbon noirs et tristes. Un peu plus loin, l'embouchure du fleuve Fraser est constellée d'une multitude de barges chargées de troncs d'arbres débités, tâches brunes sur le gris sombre de l'eau froide.
Les installations de Vancouver International sont déjà visibles derrière les filets nuageux, le soleil timide se reflétant parfois sur l'une des nombreuses surfaces vitrées de l'aérogare. Nous sommes autorisés à transiter à deux mille pieds, juste au dessus du traffic incessant des gros porteurs et des milliers de passagers en transit. Vincent négocie avec le contrôleur pour esquiver quelques gros nuages et maintenir les conditions de vol à vue, osant même placer un « Request immediate climb to maintain VFR conditions ! ». Et nous grimpons jusqu'à trois mille pieds, redescendons à deux mille cinq cent, éfleurons un stratocumulus du bout de l'aile ; nous passons midfield de Vancouver International sans même le réaliser. Les nuages se font moins denses, et d'un seul coup, la ville surgit sous le nez de notre Cessna.
Vincent quitte la fréquence de Vancouver Tower et passe avec les contrôleurs de Harbour Tower. C'est cette petite tour perchée sur un immeuble (celle qui s'occupe du trafic des hydravions dans la baie) qui va nous suivre lors de notre survol du centre ville. En suivant leurs instructions, Vincent descend à mille six cent pieds et commence à orbiter, counter-clockwise.
La vue est saisissante, et plus encore pour des pilotes habitués au carcan de la réglementation française en matière de survol d'agglomérations. Les buildings jaillissent du sol, forêt de béton et de métal aux cimes inégales, blottie entre le fleuve et la baie. Les tours de verre étincellent, Stanley Park est d'un vert profond et humide, et l'eau grise et matte de la baie accroche parfois un rayon de soleil qui la pare de rubans d'argent. Et plus loin, les Coast Mountains, toujours coiffées d'imposantes auréoles de nuages.
C'est incroyable les détails qu'on arrive à distinguer. Des grues immobiles autour d'un chantier encombré de matériaux, une rangées d'arbres rougissants qui borde une avenue, les voiles immaculées de Canada Place, les formes massives des cargos ancrés dans la baie, les sillons d'écume laissés par les hydravions, les voitures qui se croisent sur le Lion's Gate Bridge... On a ce sentiment grisant d'embrasser tout le paysage, de l'avoir entièrement à portée de la main.
Christophe et Marc-Olivier, qui ont fait un détour par l'ouest, nous rejoignent peu après et se mettent eux aussi à tourner au dessus de Vancouver, à mille huit cent pieds pour assurer une séparation entre leur Duchess et notre Cessna. Ils repartent rapidement, mais Vincent et moi, fascinés, oublions que nous avons un rendez-vous précis avec les douaniers de Seattle. Nous nous laissons porter par la magie de l'instant : encore une boucle, une autre...
Finalement, nous annonçons à Harbour Tower que nous souhaitons poursuivre notre route. Vincent en profite pour remercier chaleureusement le contrôleur incrédule, insistant sur la beauté de la ville. Peut-être que ce monsieur se souviendra de ces étranges français aussi longtemps que nous nous rappellerons ce vol.
Nous sommes de retour au dessus du sol américain. En suivant l'Interstate 5 qui longe la côte jusqu'à Seattle, nous redécouvrons le paysage que nous avons survolé deux jours plus tôt. Alors écrasées sous le mauvais temps, les nombreuses îles qui parsème la baie de Seattle nous avaient paru infranchissables, menaçantes dans leur linceul de brume. Aujourd'hui, elles sont paisibles, verdoyantes, inoffensives sous un ciel clair moucheté de quelques cumulus élevés. Nous sommes en flight following, la visibilité est excellente, le GPS confirme notre position. Je m'amuse à nommer les terrains et les villes que nous dépassons, Vincent vérifie ses notes pour l'arrivée. Nous profitons.
En nous rapprochant de Seattle, nous ne sommes pas certains d'avoir été autorisés à pénétrer dans la classe Bravo qui protège les nombreux aéroports de la ville. Il y a beaucoup de chatter à la radio, et Vincent décide de faire un 360 en attendant de pouvoir en placer une. Je me rappelle Marc-Olivier pendant le briefing au sol du BFR, un mois plus tôt à Paris :
« Aux USA, s'il y a une chose avec laquelle il ne rigolent pas, ce sont les classes Bravo ! Ne rentrez pas dans une classe Bravo sans autorisation ! »
Mieux vaut être sûr, nous faisons un second 360. Vincent parvient finalement à poser la question à la contrôleuse. Elle s'en étonne : évidemment que nous sommes autorisés, dépechez vous d'aller vous poser, arrêter de faire des ronds dans mes espaces !
Nous passons juste à coté du centre de Seattle, encore des tours vitrées, et la flèche blanche et élancée de la Space Needle, emblématique de la ville. Vincent s'aligne sur une longue finale, piste 13 gauche, au dessus des rails d'une gare de triage, et nous obtenons notre premier cleared to land de la journée. Au loin, le mont Rainier, couronné de neige, domine le paysage.
« Please stay in the plane sir. Which one of you is the pilot ? »
Nous sommes à l'heure, mais le douanier est peu affable. Il s'empare de la licence de Vincent et entreprend de scanner notre avion avec un appareil mystérieux. Nous nous demandons ce qu'il cherche. Drogues, explosifs ? Christophe et Marc-Olivier se dégourdissent les jambes en nous observant. Ils sont arrivés avant nous et ont déjà réglé les formalités.
Le douanier semble satisfait de son inspection. Il nous invite à le suivre dans un bureau où il termine les vérifications d'usage. Il se détend un peu et nous discutons avec lui pendant qu'il tamponne nos passeports.
Officiellement autorisés à fouler de nouveau le sol américain, nous sortons sur le tarmac ensoleillé de Boeing Field / King County. La tête encore pleine des images du vol, nous rejoignons nos camarades : il faut penser à préparer la suite du voyage !
« 75F, cleared for takeoff, runway 21. »
Après une journée au sol, la sensation est ennivrante. La sonorité puissante du moteur plein gaz, les vibrations régulières de la carlingue, les communications crépitantes à la radio, l'aiguille du badin qui se déroule autour du cadran, et le ciel qui nous attend. Sous nos roues, les aspérités du bitume se brouillent en de longues stries grises et floues. Nous décollons à notre tour.
Nous prenons de l'altitude et obliquons vers la droite pour passer au dessus de Coal Pile, une presqu'île artificielle effectivement couverte de monceaux de charbon noirs et tristes. Un peu plus loin, l'embouchure du fleuve Fraser est constellée d'une multitude de barges chargées de troncs d'arbres débités, tâches brunes sur le gris sombre de l'eau froide.
Les installations de Vancouver International sont déjà visibles derrière les filets nuageux, le soleil timide se reflétant parfois sur l'une des nombreuses surfaces vitrées de l'aérogare. Nous sommes autorisés à transiter à deux mille pieds, juste au dessus du traffic incessant des gros porteurs et des milliers de passagers en transit. Vincent négocie avec le contrôleur pour esquiver quelques gros nuages et maintenir les conditions de vol à vue, osant même placer un « Request immediate climb to maintain VFR conditions ! ». Et nous grimpons jusqu'à trois mille pieds, redescendons à deux mille cinq cent, éfleurons un stratocumulus du bout de l'aile ; nous passons midfield de Vancouver International sans même le réaliser. Les nuages se font moins denses, et d'un seul coup, la ville surgit sous le nez de notre Cessna.
Vincent quitte la fréquence de Vancouver Tower et passe avec les contrôleurs de Harbour Tower. C'est cette petite tour perchée sur un immeuble (celle qui s'occupe du trafic des hydravions dans la baie) qui va nous suivre lors de notre survol du centre ville. En suivant leurs instructions, Vincent descend à mille six cent pieds et commence à orbiter, counter-clockwise.
La vue est saisissante, et plus encore pour des pilotes habitués au carcan de la réglementation française en matière de survol d'agglomérations. Les buildings jaillissent du sol, forêt de béton et de métal aux cimes inégales, blottie entre le fleuve et la baie. Les tours de verre étincellent, Stanley Park est d'un vert profond et humide, et l'eau grise et matte de la baie accroche parfois un rayon de soleil qui la pare de rubans d'argent. Et plus loin, les Coast Mountains, toujours coiffées d'imposantes auréoles de nuages.
C'est incroyable les détails qu'on arrive à distinguer. Des grues immobiles autour d'un chantier encombré de matériaux, une rangées d'arbres rougissants qui borde une avenue, les voiles immaculées de Canada Place, les formes massives des cargos ancrés dans la baie, les sillons d'écume laissés par les hydravions, les voitures qui se croisent sur le Lion's Gate Bridge... On a ce sentiment grisant d'embrasser tout le paysage, de l'avoir entièrement à portée de la main.
Christophe et Marc-Olivier, qui ont fait un détour par l'ouest, nous rejoignent peu après et se mettent eux aussi à tourner au dessus de Vancouver, à mille huit cent pieds pour assurer une séparation entre leur Duchess et notre Cessna. Ils repartent rapidement, mais Vincent et moi, fascinés, oublions que nous avons un rendez-vous précis avec les douaniers de Seattle. Nous nous laissons porter par la magie de l'instant : encore une boucle, une autre...
Finalement, nous annonçons à Harbour Tower que nous souhaitons poursuivre notre route. Vincent en profite pour remercier chaleureusement le contrôleur incrédule, insistant sur la beauté de la ville. Peut-être que ce monsieur se souviendra de ces étranges français aussi longtemps que nous nous rappellerons ce vol.
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Nous sommes de retour au dessus du sol américain. En suivant l'Interstate 5 qui longe la côte jusqu'à Seattle, nous redécouvrons le paysage que nous avons survolé deux jours plus tôt. Alors écrasées sous le mauvais temps, les nombreuses îles qui parsème la baie de Seattle nous avaient paru infranchissables, menaçantes dans leur linceul de brume. Aujourd'hui, elles sont paisibles, verdoyantes, inoffensives sous un ciel clair moucheté de quelques cumulus élevés. Nous sommes en flight following, la visibilité est excellente, le GPS confirme notre position. Je m'amuse à nommer les terrains et les villes que nous dépassons, Vincent vérifie ses notes pour l'arrivée. Nous profitons.
En nous rapprochant de Seattle, nous ne sommes pas certains d'avoir été autorisés à pénétrer dans la classe Bravo qui protège les nombreux aéroports de la ville. Il y a beaucoup de chatter à la radio, et Vincent décide de faire un 360 en attendant de pouvoir en placer une. Je me rappelle Marc-Olivier pendant le briefing au sol du BFR, un mois plus tôt à Paris :
« Aux USA, s'il y a une chose avec laquelle il ne rigolent pas, ce sont les classes Bravo ! Ne rentrez pas dans une classe Bravo sans autorisation ! »
Mieux vaut être sûr, nous faisons un second 360. Vincent parvient finalement à poser la question à la contrôleuse. Elle s'en étonne : évidemment que nous sommes autorisés, dépechez vous d'aller vous poser, arrêter de faire des ronds dans mes espaces !
Nous passons juste à coté du centre de Seattle, encore des tours vitrées, et la flèche blanche et élancée de la Space Needle, emblématique de la ville. Vincent s'aligne sur une longue finale, piste 13 gauche, au dessus des rails d'une gare de triage, et nous obtenons notre premier cleared to land de la journée. Au loin, le mont Rainier, couronné de neige, domine le paysage.
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« Please stay in the plane sir. Which one of you is the pilot ? »
Nous sommes à l'heure, mais le douanier est peu affable. Il s'empare de la licence de Vincent et entreprend de scanner notre avion avec un appareil mystérieux. Nous nous demandons ce qu'il cherche. Drogues, explosifs ? Christophe et Marc-Olivier se dégourdissent les jambes en nous observant. Ils sont arrivés avant nous et ont déjà réglé les formalités.
Le douanier semble satisfait de son inspection. Il nous invite à le suivre dans un bureau où il termine les vérifications d'usage. Il se détend un peu et nous discutons avec lui pendant qu'il tamponne nos passeports.
Officiellement autorisés à fouler de nouveau le sol américain, nous sortons sur le tarmac ensoleillé de Boeing Field / King County. La tête encore pleine des images du vol, nous rejoignons nos camarades : il faut penser à préparer la suite du voyage !
Rhaaaaaa, quand est-ce qu'on y retourne !!!!
RépondreSupprimerAh ben ... J-100 ?
RépondreSupprimerJ'avoue que je venais pas ici en trainant des pieds, en ayant peur d'une succession de détails techniques mais je découvre un tout autre univers, c'est très poétique ce que tu écris, je reviendrai ici de temps en temps pour poursuivre le voyage.
RépondreSupprimerEt si tu me le permets, je prendrai quelques photos de Vancouver pour montrer à ma classe, car nos correspondants scolaires vivent là-bas.
A très bientôt je l'espère, je te mets en lien sur mon blog ( ici: http://scriptoriumdemathilde.over-blog.com/ )et il ne faut pas hésiter à me contacter en cas de question historique pour "briller en société" ;o)