4 mars 2009

Far West 2008, jour 5-2 : KBFI-KLMT

Samedi 27 septembre 2008
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Il doit être un peu plus de midi. Entre l'heure locale et l'heure Zulu (temps universel, qui est utilisé pour les informations aéronautiques) je perds mes repères. Ce qui est sûr, c'est que le soleil est haut dans le ciel, et que plus aucun nuage n'entache le bleu profond du ciel.
Les deux pistes de King County International Airport bourdonnent d'une activité enivrante. Communément appelé Boeing Field, cet aéroport est utilisé par le célèbre avionneur pour les tests en vol et l'assemblage final de certains de ses appareils. Au delà des pistes, de vastes hangars blancs arborent fièrement la forme élancée du logo Boeing, et quelques 777 flambants neufs, vêtus du bleu strié de blanc de la livrée d'usine, bronzent calmement sur les parkings qui les entourent.
Nous sommes sur un terrain mythique.

Au premier étage du bâtiment de Galvin, le FBO, la grande table en aggloméré noir est couverte de cartes dépliées et repliées, d'A/FD aux pages cornées et annotées, de règles et de stylos éparpillés... En grignotant distraitement les chips qui me font office de repas, je remplis consciensieusement le log de nav pour Klamath Falls. Marc-Olivier me prodigue comme toujours ses inestimables conseils, et dans une pièce adjacente Vincent et Christophe s'escriment à faire cuire des cookies surgelés au micro-ondes.
Assis à la même table, un pilote en uniforme galonné termine son déjeuner. Nous discutons un peu avec lui : il pilote un Cessna Citation, et dès son repas terminé va emmener son fortuné passager vers quelque lointaine destination. Nous lui racontons à notre tour notre voyage, lui décrivant avec un enthousiasme passionné le bonheur que nous avons eu à survoler San Francisco, les Cascades ou Vancouver. Et ce pilote de biréacteur, professionnel chevronné, a les yeux qui brillent autant que nous en écoutant nos aventures de pilotaillons. Finalement, peut-être sommes nous plus proches de la vraie aviation dans nos petits monomoteurs à piston, à zigzaguer en VFR entre les montagnes et les lacs, que ces pilotes de métier qui, tous les jours, règlent le pilote automatique et laissent filer leur bijou de haute technologie tout droit au niveau deux cent cinquante.



La lumière éclatante du soleil à son zénith inonde la pièce par la large baie vitrée. Sur le parking de Galvin, nos avions nous attendent fidèlement. Immobile à coté du Duchess, un superbe Grumman Goose étincelle joyeusement, sa parure rutilante de bleu et de jaune lui donnant des airs de perroquet exotique. C'est exactement le même que celui de Flight Simulator.
Ma navigation est prête, et l'odeur des cookies envahit doucement la pièce.

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Devant nous, le Duchess décolle en vrombissant. Il s'éloigne rapidement : il arrivera à destination bien avant nous.
A notre tour, nous nous alignons sur la piste 31, face au nord. Le vol s'annonce assez simple : départ de Seattle, quasiment au niveau de la mer, et une longue montée jusqu'aux quatre mille pieds de Klamath Falls en se servant des majestueux volcans des Cascades comme le Petit Poucet de ses petits cailloux blancs.


Nous décollons et, en suivant les indications de la tour, faisons un large virage à gauche pour reprendre un cap au sud sans déranger les approches et les départs de Seattle Tacoma, l'aéroport international. Je quitte la tour de Boeing Field pour contacter Seattle Departure. Pas de réponse. Tant pis, je recommencerais dans quelques instants. Notre premier point tournant, le mont Rainier, apparait devant nous. Une cour de cumulus, amassés contre ses flancs massifs, semble vénérer sa sérénité ancestrale. Nous survolons une île couverte d'arbres, vert sombre au milieu du bleu miroitant de la mer. A gauche, la ville de Seattle s'étale le long du rivage, zones résidentielles bordées d'arbres, gratte-ciels pompeux, installations portuaires hétéroclites et bretelles autoroutières improbables. Quelques navires dessinent de discrètes lignes d'écume dans la baie.
Je rappelle Seattle Departure, toujours sans succès. Inquiet, je vérifie mon micro, débranche et rebranche les câbles, joue avec le réglage du squelch. Pour nous assurer que ce n'est pas un problème technique avec ma connexion à la radio, Vincent essaye à son tour. Néant.
Nous apprendrons plus tard que les contrôleurs doivent parfois gérer plusieurs fréquences simultanément, et qu'ils ne sont donc pas toujours immédiatement disponibles. Ou peut-être était-il simplement allé soulager un besoin pressant. Nous finissons par avoir une réponse et obtenons le confort rassurant du flight following.

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Les 4392 mètres du mont Rainier passent lentement au bout de notre aile gauche. Son sommet aplati est couvert d'une calotte de neige glacée qui semble avoir coulé et séché sur les roches volcaniques noires de ses parois. Derrière nous, Seattle et la baie disparaissent sous l'horizon. La navigation est effectivement assez facile à suivre : au loin, nous distinguons déjà le mont Adams, notre prochaine étape, et sur notre droite le mont Saint Helens.
Nous traversons la Columbia River bien à l'est de Portland. Deux jours plus tôt, elle était grise et matte, inquiétante dans le mauvais temps ; aujourd'hui le soleil lui donne une apparence de ruban doré, tout juste plissé par le vent qui vient caresser sa surface.
Nous continuons notre ascension des Cascades, et je retrouve le rituel de la mixture. Notre Cessna, comme toujours, est trimmé et parfaitement stable. La fréquence du flight following est calme. Et la visibilité est généreuse, les vastes volcans qui nous servent de jalons parfaitement reconnaissables cinquante milles nautiques à l'avance.
Nous passons le mont Adams et enchaînons sereinement vers le mont Hood. Sous nos ailes, ce sont de nouveau les vastes forêts de l'Oregon, un tapis de conifères noirs qui recouvre le relief accidenté, parfois percé par la pointe grise d'un piton rocheux ou la tâche pure d'un lac d'altitude. Vincent et moi avons une pensée pour la panne moteur : dans l'improbable éventualité où le vaillant moteur de N4975F s'arrêterait, l'atterrissage d'urgence dans cette région désertique serait pour le moins hasardeux.
Voilà le mont Jefferson. Par endroits, les forêts sont plus clairsemées, laissant apparaitre de larges dalles de rochers beiges dans les creux desquelles la neige se blottit en congères grisâtres.
Puis les Three Sisters. Ce trio de volcans, haut chacun de plus de 3000 mètres, est au milieu d'une zone sauvage protégée. Sur le flanc de la sœur sud, la plus jeune des trois, des coulées de lave durcie ressemblent à d'énormes gouttes de colle séchée, noires et granuleuses, figées éternellement dans leur fuite meurtrière vers les forêts de pins.



Marc-Olivier nous contacte sur la fréquence 123.45 Mhz, que nous utilisons pour nos communications air-to-air, d'un avion à l'autre. Il nous relaie les données affichées sur l'écran couleur de son nouveau GPS Garmin, qui est capable de recevoir en temps réel la météo, des informations aéronautiques, et la radio satellite. Des feux de forêt font rage à l'ouest de notre route, et une TFR (Temporary Flight Restrictions) a été mise en place pour protéger le difficile travail des pompiers autour du brasier. Il nous recommande donc de rester à l'est ou au dessus de Crater Lake pour être sûrs de ne pas rogner cette zone interdite de survol, et de s'attendre à une dégradation de la visibilité due aux fumées dégagées par l'incendie.
En effet, Crater Lake, dernier point tournant avant Klamath Falls, baigne dans un voile laiteux uniforme. Cette immense caldera, formée par l'effondrement d'un volcan sur lui même, est remplie par les eaux d'un lac lisse et réfléchissant comme un miroir, protégé du vent par les hautes parois du cratère qui l'entoure. Une fois encore, le spectacle est grandiose.



Crater Lake est derrière nous, et nous entamons notre descente vers Klamath Falls. Et vers les fumées d'incendie. Des rayons de lumière, rasants, ricochent dans la brume, et la visibilité vers l'ouest devient rapidement quasi nulle. Instinctivement, j'oblique vers l'est afin d'avoir le soleil couchant dans le dos et d'y voir un peu mieux. Le spectre de notre pénible arrivée à Boundary Bay ressurgit, et tout en nous assurant nerveusement que nous avons toujours le sol en vue, nous commençons à envisager un déroutement vers l'est. Mais quelques minutes plus tard, alors que Vincent cherche dans l'A/FD la page de l'aéroport de Lake County, la visibilité s'améliore un peu et je distingue Klamath Lake sur la droite, le soleil se reflétant en une sphère d'or dans sa surface calme. Au bout de ce lac, nous savons qu'il y a l'aéroport de Klamath Falls : nous pouvons respirer.



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« 75F, cleared to land runway 32. »
Après une longue finale au dessus du lac et plus de trois heures de vol, nous nous posons sur la piste de Klamath Falls, longue de dix mille pieds. Les fumées sont restées derrière nous et tout le paysage baigne dans une lumière jaune irréelle. Vincent repère le Duchess, garé devant le FBO, et nous roulons le rejoindre.
Le soleil se couche, mais notre journée n'est pas encore finie : ce soir, nous allons retrouver les Alex à Oakland.



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