Deuxième jour à San Diego. Encore levé avant 6h du matin. A 8h30, Vincent et moi remontons le freeway 163 vers le nord, vers Montgomery Field. Ma Chevrolet Aveo jaune poussin de location est minuscule au milieu d’un trafic de grosses sedan, de pickups et, occasionnellement, d’énormes camions dont les échappements verticaux vomissent une fumée noire.
Vincent est arrivé hier soir, 24h après Delphine et moi. Il m'accompagne chez Gibbs où il va récupérer une voiture de location, jeter un coup d'oeil à "son" avion, et juste profiter de l'ambiance. Pour ma part, j'ai rendez-vous avec Alex, un autre CFI francophone de PlusOne avec qui je dois faire mon club checkout (un vol de lâché).
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Alex me propose de faire une transition taxiway Delta. Devant mon regard interrogateur, il m'explique. Cette transition, c'est une astuce locale pour traverser la classe B de San Diego à 1500 pieds au dessus de l'aéroport international de Lindbergh. C’est similaire aux special flight rules area ou mini-route décrites sur la TAC de Los Angeles : une trajectoire normalisée pour traverser en VFR une classe B à proximité d’un aéroport international très fréquenté par des avions de ligne. A la différence qu’à San Diego, rien n’est publié ou dessiné sur les cartes. C’est juste un consensus entre pilotes et contrôleurs qui simplifie pour tout le monde la traversée d’un volume aérien sensible.
Le taxiway Delta, m’explique Alex, c’est une ancienne piste de l’aéroport Linbergh, sécante de la 9-27 encore en service, qui a été désafectée et transformée en taxiway d’un coté, et en parkings de l’autre. Son orientation nord-ouest/sud-est en fait un point de repère idéal, et il a donné son nom à la procédure de survol. Alex continue à me briefer sur le vol prévu. Nous allons à Brown Field, un terrain tout proche de la frontière mexicaine, pour y faire quelques tours de piste. Puis j’étrenne mon compte PlusOne tout neuf pour réserver N21019, l’avion qui m’accompagnera pendant tout ce Far West. Ce sera aussi l’occasion de faire sa connaissance.
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"Taxi to 2-8 left via hotel, juliet and bravo. And we'll request coordination for a taxiway delta transition over Lindbergh please. - Cessna 21019, taxiway delta transition on request." Après avoir collationné les indications de roulage, je demande comme prévu au sol de Montgomery de coordonner ma transition au dessus de l'aéroport de Lindbergh. A ce moment, le contrôleur de Montgomery va appeller son collègue de Lindbergh pour le prévenir qu'un petit Cessna, avec un petit pilote français aux commandes, va bientôt décoller de chez lui, et a prévu de survoler l'aéroport international en longeant le taxiway delta à 1500 pieds. Pendant ce temps, je profite tranquillement du plaisir d'évoluer sur les taxiways de Montgomery sous le beau soleil californien.
Nous décollons quelques minutes plus tard de la piste 28L et, en grimpant vers les 1500 pieds convenus, obliquons vers la gauche. Alex repère rapidement notre premier point de repère, et moi un peu plus tard : le VOR de Mission Bay, petit cylindre blanc posé sur un ilôt au milieu de la baie éponyme. Je contacte Lindbergh tower. Comme ils sont déjà au courant de nos intentions, connaissent notre code transpondeur et donc savent où nous sommes, nous sommes immédiatemment cleared through class bravo airspace. Et tout va très vite. On tourne encore à gauche au dessus de l'eau bleue de Mission Bay, adoptant une trajectoire parallèle à la ligne de sable blanc de Mission Beach (où je me promenais la veille). Devant nous, la ligne d'immeubles du centre de San Diego découpe l'horizon devant Coronado Beach. L'aéroport de Lindbergh est déjà bien visible, et Alex m'aide à identifier le fameux taxiway delta. Je stabilise le Cessna à 1500 pieds et nous passons juste au dessus de la piste, juste au dessus de l'essaim de gros Boeing, Airbus et autres McDonnell qui s'activent en tous sens, transportant leur charge de passagers anonymes.
Et nous voilà déjà au sud de Lindbergh, en dehors de la classe B. Inutile de rappeller le contrôleur pour quitter sa fréquence : il sait où nous sommes et ce que nous faisons. En ajustant la trajectoire pour longer la baie de San Diego, entre les hôtels du centre ville et l'île de Coronado, j'active la fréquence de North Island que j'avais mise en standby. North Island, c'est une base aéronavale située juste au sud de Lindbergh, et au moment où nous sommes sortis de la B de Lindbergh, nous sommes rentrés dans la classe D de North Island. Contrairement à une classe B qui nécessite une clairance explicite, la pénétration dans une classe D ne demande qu'une two way communication. Un simple échange avec le contrôleur est donc suffisant. Et dans le cas présent, comme nous serons dans la zone moins d'une minute, Alex m'a expliqué qu'il est acceptable de se contenter de veiller la fréquence. C'est vrai surtout si la fréquence s'avère chargée ou, comme aujourd'hui, si le pilote est déjà sorti de l’espace aérien le temps de réfléchir à ce qu'il va dire. Il faut dire que pendant cette minute, j'ai été un peu déconcentré par le spectacle des tours du Hyatt – l’hôtel où je loge - et de sa piscine scintillante, au bord de laquelle Delphine est sans doute en train de bronzer (je crois qu'elle aurait préferé monter dans l'avion !) ; et plus loin de l'étrange ruban sinueux du Coronado Bridge jeté au dessus des eaux calmes de la baie.
(les tours du Hyatt dans Google Earth. Pas le temps de prendre des photos)
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Au sud de la baie, nous tournons vers l'est et rejoignons Brown Field. C'est un terrain posé juste à la frontière mexicaine. En fait, il est si proche que la piste de Tijuana, qui est parallèle à celles de Brown Field, pourrait presque faire partie du même aéroport. J'ai souvenir d'histoires de gens qui se sont trompé en croyant se poser à Brown, ce qui n'est pas recommandé car la frontière avec le Mexique est assez sensible aux USA. Nous sommes donc attentifs pendant nos tours de piste, mais avec la météo magnifique on a peu de risques de se tromper ! Alex me fait transpirer, en particulier avec des exercices d'atterrissage sans moteur en finale, qui s'avèrent très différents des encadrements pratiqués en France. J’aprécie toujours d’essayer de choses neuves, et il faudra que j’en refasse car le résultat était peu convaincant…
Une fois que je suis bien familiarisé avec le N21019 (ou qu’Alex en a marre de mes atterrissages), nous rentrons à Montgomery, par l’est, cette fois ci en contournant la classe B. C’est bien un vol Far West : en arrivant, je suis crevé, mais heureux !