- Reno/Tahoe International Airport (Reno, Nevada, USA)
- Mojave Airport (Mojave, California, USA)
- Mc Carran International Airport (Las Vegas, Nevada, USA)
- Mojave Airport (Mojave, California, USA)
- Mc Carran International Airport (Las Vegas, Nevada, USA)
"Ah, vous avez réservé avec priceline..."
L'hôtesse pianote sur son ordinateur avec une moue embêtée.
"Vous savez, priceline, ils ne nous disent jamais quel type de chambre les clients ont demandé. Vous voulez une chambre avec deux queen beds ?"
Elle continue à tapoter sur le clavier, concentrée sur l'écran, puis, avec un sourire véritablement gêné, annonce à Patrick :
"Je suis vraiment désolée, mais nous n'avons plus de chambres avec deux lits. Il me reste une suite, si ça ne vous embête pas trop ?"
Voilà comment, le lendemain après le petit déjeuner, nous nous retrouvons tous les neuf dans la suite de Patrick et Georges, entre le bar, la table à manger et un petit salon orné d'une immense télé. Par la vaste baie vitrée, la pièce domine la ville de Reno, entassement de bâtiments sans âme qui cuisent au soleil, blottis les uns contre les autres comme pour se protéger du désert de collines brunes et sèches qui les encercle.
Mais, vaste suite dans un quatre étoiles ou chambre exigüe de motel, le rituel ne change pas : les ordinateurs portables, connectés au wifi de l'hôtel, nous abreuvent d'informations que nous griffonnons sur les cartes, couvertes d'épais traits fluorescents représentant les vols passés et à venir, que nous avons étalées sur la moquette. Les stylos remplissent infatigablement des logs de navigations consciencieux, consignant avec soins les nombreux conseils que Marc-Olivier dispense calmement. L'ambiance est un peu fébrile, et l'air sent bon le café chaud.
Un bus à touristes, parmi les nombreux qui font la navette entre les casinos du centre ville et l'aéroport, nous dépose devant le terminal. Puis nous nous entassons dans le minivan du FBO (à neuf, plus nos bagages, plus le chauffeur) pour rejoindre le parking general aviation où ont dormi nos avions.
Derniers préparatifs, on charge les bagages dans les avions en un savant jeu de Tetris, un passage prudent au toilettes, un tour sur les ordinateurs du FBO pour vérifier une dernière fois la météo et les NOTAMs... Et nous voilà partis.
Vincent aux commandes, nous remontons la piste 16 dans cette ambiance typiquement Farwest, qui rend les vols aux USA si différents de ceux en France. Le ciel est transparent, et les rafales de vent qui remuent l'air chaud emportent des volutes de poussière ocre le long des pistes de l'aéroport international. Au loin, l'horizon est encombré par les collines pelées et rondes du Nevada. Sur notre gauche, un parking de l'Air Force accueille les formes gris clair de quelques C-130, les rubans rouges qui protègent les capteurs de leurs instruments battant contre leurs flancs joufflus. A droite un Boeing de Southwest atterrit, l'impact libérant une bouffée blanche de pneus brulés qui est immédiatement emportée par le vent tiède. Au bout du taxiway, un F-18 nous suit à distance, sa silhouette menaçante distordue par la chaleur ondulée qui émane du bitume.
Nous décollons et grimpons à droite, vers le lac Tahoe. Nous allons rejoindre notre première étape de la journée, Mojave, en passant par dessus les montagnes vers l'ouest, puis en descendant la large vallée cultivée de San Joaquin. Dans les deux autres Cessnas, nos camarades continuent par le sud-est, ils ont choisi de suivre la route 395 qui longe la vallée de la mort.
Le lac Tahoe est un joyau liquide d'un bleu étincellant. Perché à une altitude de 1800 mètres dans la Sierra Nevada, il est enchâssé dans un écrin de montagnes enneigées. Ce vaste miroir transparent est d'un calme ancestral, étrangement apaisant. Fascinés, nous glissons en silence au dessus de la rive est du lac. A certains endroits, une couverture de conifères noirs dégringole les pentes jusqu'à toucher l'eau ; à d'autres le liseré pâle d'une plage de galets dessine délicatement le contour du lac. Et devant, de l'autre coté du miroir, la Sierra Nevada est fièrement campée sur ses larges fondations, des nuages bleu-gris débordant par dessus ses sommets escarpés pour se répandre dans le ciel bienveillant qui domine le lac.
Et déjà, nous quittons le lac et ses cieux cléments. Fermement mais prudemment, Vincent s'engage dans l'espace étroit qui sépare les montagnes et les nuages. Nous passons au ras de crêtes tachées de neige et de stations de ski en jachère, la dérive presque dans les nuages, toujours attentifs à la présence d'une vallée où nous pourrions nous échapper si le plafond venait à s'abaisser jusqu'aux cimes. En une quinzaine de minutes, nous débouchons sans heurs dans la vallée de San Joaquin, obliquant vers le sud-est pour la suivre jusqu'à Mojave.
Après avoir traversé les montagnes humides de la Sierra Nevada, et avalé les kilomètres de cultures quadrillées de San Joaquin, nous retrouvons le désert vallonné du Nevada que nous avons quitté ce matin. Les innombrables éoliennes qui recouvrent les collines poussiéreuses avant Mojave moulinent à décoiffer un Don Quichotte, entrainée par un vent irrégulier mais insistant.
Le spaceport de Mojave est facile à repérer, ses longues pistes entrecroisées se détachant sur l'aplat du désert environnant. Un boneyard de carcasses d'avions à la retraite, plus ou moins déglinguées, est avachi tout autour des installations. Sur les indications de l'agent AFIS, Vincent s'aligne en finale pour la piste 12. Il se bat pour stabiliser l'avion dans les rafales de vent de travers, et fini par sagement décider de remettre les gaz. Un court échange à la radio avec l'AFIS, et nous revenons nous poser sur la piste 22. Elle est longue et étroite, on dirait un câble d'acier noir usé, mais au moins le vent est à peu près dans l'axe. Les roues du Cessna accrochent cette fois-ci le bitume avec un crissement satisfaisant.
Nous traînons une quarantaine de minutes à Mojave en attendant que les deux autres avions arrivent de la Vallée de la Mort. On fait le plein au self-serve, on va s'acheter de quoi grignoter dans un distributeur poussif, on se balade sur le tarmac dans les rafales de vent chaud, on prend des photos au téléobjectif des coques vides de 747 alignées au bord des pistes... Je révise aussi le prochain vol en essayent de ne pas laisser les cartes et les papiers se faire emporter par les rafales. Je voulais me poser sur un gros terrain, je vais être servi : Las Vegas Mc Carran International Airport, et je cite Wikipedia, in 2008, McCarran ranked 15th in the world for passenger traffic, with 44,074,707 passengers passing through the terminal. The airport ranked 6th in the world for aircraft movements with 578,949 takeoffs and landings. Tout ça pour aller claquer au casino !
Et nous voilà tous ensembles, trois avions à la queue-leu-leu au seuil de la piste 22. 88G décolle le premier, avec Georges aux commandes et Marc-Olivier en place droite. Dès qu'il quitte le sol, il embarque à gauche, secoué par les turbulences et les coups de vents, mais il s'élève ensuite sans difficulté. Je prend note mentale d'être particulièrement attentif à la rotation, et je m'élance à sa suite. Après avoir pris de l'altitude, je tourne à gauche en prenant garde de ne pas dépasser la radiale de garde du VOR de Palmdale, réglée avant le départ, et qui matérialise la limite de la zone restreinte R-2515 qui protège la base militaire d'Edwards. Vincent confirme avec le GPS. Nous savons qu'en demandant gentiment au contrôleur, il est possible d'être autorisé à faire une verticale d'Edwards, mais il est évidemment exclu de pénétrer la zone sans avoir demandé et obtenu cette autorisation.
Et chacun à notre tour, nous la demandons, et nous l'obtenons, le contrôleur nous permettant aimablement de transiter dans la zone R-2515 en direction de l'est tant que nous volons à plus de 6000 pieds.
La base militaire d'Edwards est un gigantesque complexe qui s'étale dans la terre blanche du désert. Il regroupe plusieurs aéroports, des pistes bétonnées dans tous les sens et de toutes les tailles (sauf petite), des ensembles entremêlés de hangars et de centres de recherche ou de test reliés par des routes, des avions militaires de tous types rangés sur d'immenses parkings, et les interminables pistes d'essai délimitées en noir à même la surface asséchée de Rogers Lake. C'est également dans la poussière de Rogers Lake qu'est dessinée la plus grande rose des vents du monde, un cercle gradué de plus d'un kilomètre de diamètre. C'est ici qu'ont eu lieu les essais en vol de la plupart des avions de l'armée américaine depuis les années cinquante, que Chuck Yeager a passé le mur du son pour la première fois, que la navette spatiale atterrit encore aujourd'hui... Nous apercevons même, en faisant un 360° touristique au dessus de Rogers Lake, l'un des SCA (Shuttle Carrier Aircraft - les Boeings 747 utilisés pour déplacer la navette spatiale).
Et nous remettons le cap sur Las Vegas, en suivant plus ou moins la saignée grise que dessine la I-15 dans le sable brun du désert du Nevada. Nous dépassons Barstow (le pays de chauve-souris), nous faisons un peu secouer en sautant des collines nues sur lesquelles le vent s'écrase en turbulences agitées.
Le contrôleur qui gère les approches par le sud vers les trois aéroports de Las Vegas, nous demande à plusieurs reprises si nous sommes bien sûrs de vouloir nous poser à l'international de McCarran avec nos petits Cessnas, ce que je confirme en essayant de garder une voix assurée. A partir de là, nous sommes téléguidés comme en IFR, en prenant les caps et les altitudes précis qu'on nous indique. Nous nous enfonçons dans la classe Bravo qui protège Las Vegas en valsant d'une fréquence à l'autre . C'est plutôt facile, les contrôleurs sont tous très compétents et prennent soin de nous ménager un couloir tranquille au milieu du dense trafic de liners et de jets privés (je crois qu'ils s'arrangent surtout pour que ce soit nous qui ne génions pas les gros avions). Je me laisse guider paisiblement.
Au bout de l'autoroute, se dévoilant entre deux grosses collines, nous découvrons Las Vegas. La première chose qui me vient à l'esprit quand je pense à cette ville vue des airs, c'est marron. Las Vegas est comme un vieux tapis poussiéreux étalé ton sur ton sur le désert, avec au milieu les excroissances hétéroclites des casinos du Strip (qui, de jour et vus du ciel, ne sont pas très impressionnants), et l'aéroport de McCarran, comme un trou décousu dans le tissu usé de la ville.
En suivant les indications des contrôleurs, nous passons au dessus de banlieues, zones commerciales et lotissements résidentiels de plus en plus denses. En vent arrière éloignée pour la piste 19 droite, nous coupons les axes des deux grandes pistes est-ouest de McCarran. Les tours vitrées des hôtels du Strip reflètent par éclats les rayons déclinants du soleil, et le bitume pâle de l'aéroport semble couvert de paillettes d'or dans la lumière mordorée de cette fin de journée. Virage en base en visant la corolle du Stratosphere, puis finale dans des rafales de vent, et je touche proprement (à peu près) au milieu d'une piste qui doit être dix fois plus large que l'envergure de mon avion, et dont la surface brun-gris et durement noircie par d'innombrables impacts de pneus.
Comme l'année précédente, nous sommes guidés à travers un dédale de taxiways, et jusqu'au parking d'Atlantic (le FBO), par un pickup jaune arborant un grand panneau lumineux follow me. Les parkings sont chargés de jets privés de toutes les tailles : Citations, Glufstreams, et même d'impressionnants Boeings 737 BBJ. Nous devons être les trois seules machines à hélice sur tout l'aéroport.
Une charmante demoiselle rousse descend du follow me et me guide par signes sur ma ligne de parking. Le soleil est passé sous l'horizon, et le strip commence à s'illuminer d'une cacophonie de néons colorés qui contraste avec la teinte grise du ciel crépusculaire.
L'hôtesse pianote sur son ordinateur avec une moue embêtée.
"Vous savez, priceline, ils ne nous disent jamais quel type de chambre les clients ont demandé. Vous voulez une chambre avec deux queen beds ?"
Elle continue à tapoter sur le clavier, concentrée sur l'écran, puis, avec un sourire véritablement gêné, annonce à Patrick :
"Je suis vraiment désolée, mais nous n'avons plus de chambres avec deux lits. Il me reste une suite, si ça ne vous embête pas trop ?"
Voilà comment, le lendemain après le petit déjeuner, nous nous retrouvons tous les neuf dans la suite de Patrick et Georges, entre le bar, la table à manger et un petit salon orné d'une immense télé. Par la vaste baie vitrée, la pièce domine la ville de Reno, entassement de bâtiments sans âme qui cuisent au soleil, blottis les uns contre les autres comme pour se protéger du désert de collines brunes et sèches qui les encercle.
Mais, vaste suite dans un quatre étoiles ou chambre exigüe de motel, le rituel ne change pas : les ordinateurs portables, connectés au wifi de l'hôtel, nous abreuvent d'informations que nous griffonnons sur les cartes, couvertes d'épais traits fluorescents représentant les vols passés et à venir, que nous avons étalées sur la moquette. Les stylos remplissent infatigablement des logs de navigations consciencieux, consignant avec soins les nombreux conseils que Marc-Olivier dispense calmement. L'ambiance est un peu fébrile, et l'air sent bon le café chaud.
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Un bus à touristes, parmi les nombreux qui font la navette entre les casinos du centre ville et l'aéroport, nous dépose devant le terminal. Puis nous nous entassons dans le minivan du FBO (à neuf, plus nos bagages, plus le chauffeur) pour rejoindre le parking general aviation où ont dormi nos avions.
Derniers préparatifs, on charge les bagages dans les avions en un savant jeu de Tetris, un passage prudent au toilettes, un tour sur les ordinateurs du FBO pour vérifier une dernière fois la météo et les NOTAMs... Et nous voilà partis.
Vincent aux commandes, nous remontons la piste 16 dans cette ambiance typiquement Farwest, qui rend les vols aux USA si différents de ceux en France. Le ciel est transparent, et les rafales de vent qui remuent l'air chaud emportent des volutes de poussière ocre le long des pistes de l'aéroport international. Au loin, l'horizon est encombré par les collines pelées et rondes du Nevada. Sur notre gauche, un parking de l'Air Force accueille les formes gris clair de quelques C-130, les rubans rouges qui protègent les capteurs de leurs instruments battant contre leurs flancs joufflus. A droite un Boeing de Southwest atterrit, l'impact libérant une bouffée blanche de pneus brulés qui est immédiatement emportée par le vent tiède. Au bout du taxiway, un F-18 nous suit à distance, sa silhouette menaçante distordue par la chaleur ondulée qui émane du bitume.
Nous décollons et grimpons à droite, vers le lac Tahoe. Nous allons rejoindre notre première étape de la journée, Mojave, en passant par dessus les montagnes vers l'ouest, puis en descendant la large vallée cultivée de San Joaquin. Dans les deux autres Cessnas, nos camarades continuent par le sud-est, ils ont choisi de suivre la route 395 qui longe la vallée de la mort.
Le lac Tahoe est un joyau liquide d'un bleu étincellant. Perché à une altitude de 1800 mètres dans la Sierra Nevada, il est enchâssé dans un écrin de montagnes enneigées. Ce vaste miroir transparent est d'un calme ancestral, étrangement apaisant. Fascinés, nous glissons en silence au dessus de la rive est du lac. A certains endroits, une couverture de conifères noirs dégringole les pentes jusqu'à toucher l'eau ; à d'autres le liseré pâle d'une plage de galets dessine délicatement le contour du lac. Et devant, de l'autre coté du miroir, la Sierra Nevada est fièrement campée sur ses larges fondations, des nuages bleu-gris débordant par dessus ses sommets escarpés pour se répandre dans le ciel bienveillant qui domine le lac.
Et déjà, nous quittons le lac et ses cieux cléments. Fermement mais prudemment, Vincent s'engage dans l'espace étroit qui sépare les montagnes et les nuages. Nous passons au ras de crêtes tachées de neige et de stations de ski en jachère, la dérive presque dans les nuages, toujours attentifs à la présence d'une vallée où nous pourrions nous échapper si le plafond venait à s'abaisser jusqu'aux cimes. En une quinzaine de minutes, nous débouchons sans heurs dans la vallée de San Joaquin, obliquant vers le sud-est pour la suivre jusqu'à Mojave.
Après avoir traversé les montagnes humides de la Sierra Nevada, et avalé les kilomètres de cultures quadrillées de San Joaquin, nous retrouvons le désert vallonné du Nevada que nous avons quitté ce matin. Les innombrables éoliennes qui recouvrent les collines poussiéreuses avant Mojave moulinent à décoiffer un Don Quichotte, entrainée par un vent irrégulier mais insistant.
Le spaceport de Mojave est facile à repérer, ses longues pistes entrecroisées se détachant sur l'aplat du désert environnant. Un boneyard de carcasses d'avions à la retraite, plus ou moins déglinguées, est avachi tout autour des installations. Sur les indications de l'agent AFIS, Vincent s'aligne en finale pour la piste 12. Il se bat pour stabiliser l'avion dans les rafales de vent de travers, et fini par sagement décider de remettre les gaz. Un court échange à la radio avec l'AFIS, et nous revenons nous poser sur la piste 22. Elle est longue et étroite, on dirait un câble d'acier noir usé, mais au moins le vent est à peu près dans l'axe. Les roues du Cessna accrochent cette fois-ci le bitume avec un crissement satisfaisant.
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Nous traînons une quarantaine de minutes à Mojave en attendant que les deux autres avions arrivent de la Vallée de la Mort. On fait le plein au self-serve, on va s'acheter de quoi grignoter dans un distributeur poussif, on se balade sur le tarmac dans les rafales de vent chaud, on prend des photos au téléobjectif des coques vides de 747 alignées au bord des pistes... Je révise aussi le prochain vol en essayent de ne pas laisser les cartes et les papiers se faire emporter par les rafales. Je voulais me poser sur un gros terrain, je vais être servi : Las Vegas Mc Carran International Airport, et je cite Wikipedia, in 2008, McCarran ranked 15th in the world for passenger traffic, with 44,074,707 passengers passing through the terminal. The airport ranked 6th in the world for aircraft movements with 578,949 takeoffs and landings. Tout ça pour aller claquer au casino !
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Et nous voilà tous ensembles, trois avions à la queue-leu-leu au seuil de la piste 22. 88G décolle le premier, avec Georges aux commandes et Marc-Olivier en place droite. Dès qu'il quitte le sol, il embarque à gauche, secoué par les turbulences et les coups de vents, mais il s'élève ensuite sans difficulté. Je prend note mentale d'être particulièrement attentif à la rotation, et je m'élance à sa suite. Après avoir pris de l'altitude, je tourne à gauche en prenant garde de ne pas dépasser la radiale de garde du VOR de Palmdale, réglée avant le départ, et qui matérialise la limite de la zone restreinte R-2515 qui protège la base militaire d'Edwards. Vincent confirme avec le GPS. Nous savons qu'en demandant gentiment au contrôleur, il est possible d'être autorisé à faire une verticale d'Edwards, mais il est évidemment exclu de pénétrer la zone sans avoir demandé et obtenu cette autorisation.
Et chacun à notre tour, nous la demandons, et nous l'obtenons, le contrôleur nous permettant aimablement de transiter dans la zone R-2515 en direction de l'est tant que nous volons à plus de 6000 pieds.
La base militaire d'Edwards est un gigantesque complexe qui s'étale dans la terre blanche du désert. Il regroupe plusieurs aéroports, des pistes bétonnées dans tous les sens et de toutes les tailles (sauf petite), des ensembles entremêlés de hangars et de centres de recherche ou de test reliés par des routes, des avions militaires de tous types rangés sur d'immenses parkings, et les interminables pistes d'essai délimitées en noir à même la surface asséchée de Rogers Lake. C'est également dans la poussière de Rogers Lake qu'est dessinée la plus grande rose des vents du monde, un cercle gradué de plus d'un kilomètre de diamètre. C'est ici qu'ont eu lieu les essais en vol de la plupart des avions de l'armée américaine depuis les années cinquante, que Chuck Yeager a passé le mur du son pour la première fois, que la navette spatiale atterrit encore aujourd'hui... Nous apercevons même, en faisant un 360° touristique au dessus de Rogers Lake, l'un des SCA (Shuttle Carrier Aircraft - les Boeings 747 utilisés pour déplacer la navette spatiale).
Et nous remettons le cap sur Las Vegas, en suivant plus ou moins la saignée grise que dessine la I-15 dans le sable brun du désert du Nevada. Nous dépassons Barstow (le pays de chauve-souris), nous faisons un peu secouer en sautant des collines nues sur lesquelles le vent s'écrase en turbulences agitées.
Le contrôleur qui gère les approches par le sud vers les trois aéroports de Las Vegas, nous demande à plusieurs reprises si nous sommes bien sûrs de vouloir nous poser à l'international de McCarran avec nos petits Cessnas, ce que je confirme en essayant de garder une voix assurée. A partir de là, nous sommes téléguidés comme en IFR, en prenant les caps et les altitudes précis qu'on nous indique. Nous nous enfonçons dans la classe Bravo qui protège Las Vegas en valsant d'une fréquence à l'autre . C'est plutôt facile, les contrôleurs sont tous très compétents et prennent soin de nous ménager un couloir tranquille au milieu du dense trafic de liners et de jets privés (je crois qu'ils s'arrangent surtout pour que ce soit nous qui ne génions pas les gros avions). Je me laisse guider paisiblement.
Au bout de l'autoroute, se dévoilant entre deux grosses collines, nous découvrons Las Vegas. La première chose qui me vient à l'esprit quand je pense à cette ville vue des airs, c'est marron. Las Vegas est comme un vieux tapis poussiéreux étalé ton sur ton sur le désert, avec au milieu les excroissances hétéroclites des casinos du Strip (qui, de jour et vus du ciel, ne sont pas très impressionnants), et l'aéroport de McCarran, comme un trou décousu dans le tissu usé de la ville.
En suivant les indications des contrôleurs, nous passons au dessus de banlieues, zones commerciales et lotissements résidentiels de plus en plus denses. En vent arrière éloignée pour la piste 19 droite, nous coupons les axes des deux grandes pistes est-ouest de McCarran. Les tours vitrées des hôtels du Strip reflètent par éclats les rayons déclinants du soleil, et le bitume pâle de l'aéroport semble couvert de paillettes d'or dans la lumière mordorée de cette fin de journée. Virage en base en visant la corolle du Stratosphere, puis finale dans des rafales de vent, et je touche proprement (à peu près) au milieu d'une piste qui doit être dix fois plus large que l'envergure de mon avion, et dont la surface brun-gris et durement noircie par d'innombrables impacts de pneus.
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Comme l'année précédente, nous sommes guidés à travers un dédale de taxiways, et jusqu'au parking d'Atlantic (le FBO), par un pickup jaune arborant un grand panneau lumineux follow me. Les parkings sont chargés de jets privés de toutes les tailles : Citations, Glufstreams, et même d'impressionnants Boeings 737 BBJ. Nous devons être les trois seules machines à hélice sur tout l'aéroport.
Une charmante demoiselle rousse descend du follow me et me guide par signes sur ma ligne de parking. Le soleil est passé sous l'horizon, et le strip commence à s'illuminer d'une cacophonie de néons colorés qui contraste avec la teinte grise du ciel crépusculaire.