Ce vendredi après-midi de mai, il faisait un joli temps printanier. A Saint-Cyr, pas de nuage dans le ciel bleu. L'agréable chaleur d'un soleil motivé se transformait en gentille fraîcheur à l'ombre du saule qui couvre l'entrée du clubhouse des Alcyons. Un vent du nord irrégulier faisait par moment sursauter la manche-à-air posée en bordure de la piste 29 droite.
Pour l'anniversaire de Delphine, nous avions prévu d'aller survoler le château de Chambord, en faisant un arrêt à Blois pour faire le plein d'essence et se dégourdir les jambes. Cette balade allait être ma première navigation en tant que commandant de bord depuis un bon moment. J'en avais donc longuement (certains diraient interminablement) soigné la préparation : traits tracés sur les cartes renouvelées pour l'occasion, centrage, performances pour les terrains prévus, anticipation des déroutements, vérification des disponibilités de carburant, activité des zones et des espaces de contrôle, SUP AIP en vigueur... La matinée avait été passée avec un œil attentif sur les prévisions météo (idéales) et j'avais imprimé le dossier complet ainsi que les derniers notams en arrivant au club.
A notre arrivée à Saint-Cyr, le hangar du haut des Alcyons était fermé et tous les avions bien rangés à l'intérieur : malgré le beau temps, peu de vols en ce jour de semaine travaillé.
Je purgeais et sortis l'avion du hangar - le DR221 FBPKH. La visite prévol ne révéla aucun problème à part un niveau d'huile un peu bas que je complétais. Je rappelais à Delphine quelques règles et procédures - comment grimper dans l'avion, comment attacher et détacher la ceinture, ouvrir la verrière - et contactais la tour pour obtenir le roulage pour l'essence.
Une fois le réservoir rempli, je rappelais Saint-Cyr tour pour demander une sortie ouest. Ayant reçu les instructions de roulage je me rendis vers le point d'attente 29 gauche en amont duquel j'effectuais les essais moteur en continuant à expliquer à Delphine le sens de mes actions. Satisfait que tout était en ordre, j'avançais vers le point d'attente.
"Saint-Cyr tour, prêt au départ point d'attente 29 gauche.
- FPKH, derrière le Cessna au départ, alignez-vous et attendez piste 29 gauche."
Je collationnais et m’exécutais. Le Cessna Skyhawk s'élança et disparut sous la courbure du terrain. Un coup d’œil à droite en passant la bande de peinture qui matérialise le point d'attente pour m'assurer qu’aucun avion n'est en finale, et je m'alignais au milieu de la large piste en herbe tandis que déjà, le Cessna réapparaissait en quittant le sol.
"FPKH, autorisé décollage 29 gauche.
- Autorisé décollage piste 29 gauche, FPKH."
Plein gaz, notre petit DR221 s'élança vaillamment, prit de la vitesse, et bientôt nous quittions le sol à notre tour.
"FPKH, identifié radar."
Il faut que je précise que l'aérodrome de Saint-Cyr est un terrain contrôlé qui ne dispose pas de radar : du haut de leur tour, des contrôleurs aériens orchestrent le ballet des avions aux alentours de l'aérodrome en utilisant uniquement des strips papier, les informations transmises par radio par les pilotes, et leurs yeux (et parfois des jumelles). Ce 18 mai 2018 pourtant, pour la première fois, ils avaient aussi un écran radar. Cet écran améliorait considérablement leur capacité d'interprétation de la situation environnante, en leur présentant visuellement tous les avions évoluant à proximité de l’aérodrome sous forme d’icônes informatiques, chacune légendées avec l'altitude et un code numérique. Ce code - le code transpondeur - est transmis par un équipement installé à bord de l'appareil surveillé (le transpondeur) conformément à un réglage effectué par le pilote sur instruction du contrôleur.
Lors de ma prise de contact initiale, donc, la contrôleuse m'avait demandé de régler un code transpondeur - disons 4024. Lors du décollage, avec la prise d'altitude, j’apparus sur son écran radar avec ce code (je n'était pas visible tant que j'étais au sol) et elle m'en informa par radio :
"FPKH, identifié radar.
- Reçu, FBPKH"
En montée vers 1500 pieds, j'effectuais un virage à gauche vers le sud, puis contournais la pointe de Villepreux en survolant la forêt pour rejoindre la sortie ouest. Nouveau message du contrôle, cette fois-ci une information trafic me signalant que nous allons croiser un hélicoptère qui arrive en sens inverse à la même altitude. Je vérifiais que mes phares étaient bien allumés et scannais le ciel devant moi, repérant rapidement un gros bi-turbine militaire. J'informais la contrôleuse :
"On a visuel de l'hélicoptère, FBPKH."
C'est à ce moment là que les problèmes ont commencé.
Je ne sais pas si j'ai reçu une réponse de la contrôleuse à ce dernier message, mais en continuant ma route vers la sortie ouest, je m’aperçus que je n'entendais plus Delphine dans l'intercom de l'avion. Je lui pointais du doigt l'hélicoptère qui nous croisions en lui racontant que je pensais en avoir identifié le modèle, puis je lui montrais les pistes en herbe sur notre droite en lui expliquant qu'il s'agissait du terrain de Chavenay. Aucune réponse. Dans mon casque, il n'y avait que les bruits étouffés du moteur et de l'air s'écoulant le long de la cellule.
Ce jour là, j'avais sur les oreilles mon casque principal, un Zulu 1 acheté chez Marv Golden à San Diego en 2009, et Delphine portait le vieux Telex entrée de gamme qui m'avait servi pendant toute ma formation initiale. Saisi d'une pointe d'inquiétude, je vérifiais que ces deux casques étaient bien branchés dans leurs prises respectives : ils l'étaient ; que le volume étaient correctement réglé sur mon Zulu : il l'était. Je n'entendais pas Delphine, mais elle semblait bien m'entendre. Peut-être les écouteurs du Zulu étaient-ils défectueux ? Sur la fréquence de Saint-Cyr, aucun message, mais cela pouvait simplement signifier que personne n'émettait pour l'instant. En communiquant par gestes, nous échangeâmes nos casques dans l'espoir de cerner la cause du problème. Dans cette configuration, les rôles étaient inversés : je pouvais entendre Delphine, elle ne m'entendait pas (sur le coup je ne me rendis même pas compte que c'était complètement évident). Et soulagement, je pouvais entendre des messages sur la fréquence de Saint-Cyr, ce qui tombait bien puisqu'il fallait que j'annonce que j'approchais de la la sortie ouest :
"St-Cyr, FBPKH, en sortie ouest pour quitter."
Pas de réponse. Peut-être avais-je parlé alors que la fréquence était occupée par un autre pilote ? Ou peut-être que l'alternat fonctionnait mal ? Je réessayais en m'appliquant à bien presser le métal gris du bouton installé sur le manche. Toujours pas de réponse. L’inquiétude revint d'un coup. Alors que sous l'aile droite glissait la fumée blanche du "VOR" de Chavenay, la contrôleuse m’appela :
"FBPKH, vous êtes en sortie, transpondeur 7000 et vous pouvez quitter la fréquence."
Je collationnais et m’apprêtais à régler le transpondeur sur le code générique, quand la contrôleuse réitéra le message, un peu plus insistante.
"FBPKH, transpondeur 7000 et vous pouvez quitter la fréquence !"
Je collationnais derechef.
"FBPKH, de St-Cyr, vous me recevez ?"
Je la recevais, mais de toute évidence elle ne me recevait pas. L'inquiétude monta d'un cran, accompagnée d'une petite goutte de sueur. J'obliquais vers le nord, décidant d'orbiter à 1500 pieds au dessus des variations de couleurs vertes des champs qui s'étalent entre Chavenay et Thoiry, le temps de prendre la mesure de la situation. Comme j'avais récemment eu des problèmes d'alternats capricieux sur des avions des Alcyons, ce fut la première chose que je vérifiais : un appui ferme sur le bouton, et sur l'écran de la radio un "T" apparut, indiquant le passage en mode transmission et, en principe, le fonctionnement normal de l'alternat. Nouvel essai, hésitant :
"St-Cyr, FBPKH, essai radio ?"
Pas de réponse. Pourtant cette saleté de bouton d'alternat avait l'air de fonctionner? De temps à autre, j'entendais la contrôleuse essayer de me contacter, mais j'étais incapable de répondre. J'étais en panne de communication. Du fond de ma mémoire émergea le nombre 7600, le code transpondeur à afficher dans l’éventualité d'une panne radio. Ce code s'afficherait sur l'écran radar du contrôle affublé d'une mention clignotante "NOCOM" afin de l'informer de ma situation. Ou était-ce 7500 ? Non 7600. Je tournais une à une les trois molettes du transpondeur : 7, 6, 0, 0.
J'ajustais la trajectoire et l'altitude de l'avion en essayant de ne pas perdre mes repères ni de rentrer dans les zone alpha de Paris. Sur la fréquence de Saint-Cyr, le train-train des arrivées et des départs continuait, indifférent. Le transpondeur clignotait son 7600 consciencieusement. Allais-je devoir rentrer à Saint-Cyr sans radio ? Pourquoi pas, au moins j'avais la chance que la contrôleuse puisse me suivre sur son écran radar : quelques jours plus tôt elle aurait été aveugle à ma situation en plus d'y être sourde. Était-ce peut-être le micro du Telex qui ne fonctionnait plus ? Y-avait-il un micro de secours dans cet avion ?
Et puis une idée : si le problème venait de l'alternat, pourquoi ne pas essayer de déclencher l'émission avec celui du manche de droite ? Tendant le bras au dessus des jambes de Delphine, je pressais le bouton et constatait que le "T" s'allumait normalement. Je lançais :
"St-Cyr, FBPKH, pour un essai radio ?"
"FBPKH, St-Cyr, je vous reçoit 5."
Soulagement ! J'avais rétabli le contact ! Je bafouillais :
"On a eu un problème avec la radio, on va annuler le vol et rentrer."
"FBPKH reçu, entrez vent arrière main droite piste 29, rappelez 30 secondes avant la croisée des axes. Ah, et vous pouvez afficher 4032 au transpondeur."
Un peu tremblant, je réglais le transpondeur comme indiqué (et une alerte clignotante dut à cet instant disparaître des écrans de quelques contrôleurs de la région parisienne), et pris la direction de l'aérodrome. Les communications radios étaient un peu inconfortables : ma main gauche devait maintenir devant ma bouche le micro du vieux Telex, et simultanément ma main droite devait aller attraper le manche de droite pour activer l'alternat qui fonctionnait. Mais cela fonctionnait, et le retour à Saint-Cyr se déroula sans plus de problèmes.
Pendant ce temps, le ciel était toujours d'un bleu imperturbable, et les champs d'un vert printanier insolemment décontracté.
Plus tard, de retour chez moi, je démontais le boîtier du Zulu et constatais que le problème initial venait d'une fiche électronique qui s'était déconnectés, rendant les écouteurs inopérants. A part ça, tout était fonctionnel : le micro du Zulu, le Telex, et les alternats du FBPKH. Dans le stress de l'imprévu, je n'avais plus pensé que chaque alternat
est connecté à son côté de l'avion : lorsque l'on appuie sur celui de gauche, seul le micro branché à gauche est mis en émission. Or, lorsque j'avais mis le Telex sur
mes oreilles, je l'avais laissé branché sur les prises de la place
droite. Mes tentatives d'émission avec l'alternat
de la place de gauche et un casque/micro branché à droite étaient vouées à l'échec, panne ou pas panne.