23 décembre 2008

Far West 2008, jour 3-2 : KPDX-CZBB

Jeudi 25 septembre 2008


Flightcraft, à Portland International, est le plus beau FBO que nous ayons fréquenté au cours de ce voyage. Le sas vitré se referme en coulissant sans bruit, et le vacarme des moteurs d'avions, l'odeur d'essence et d'huile chaude, font place à un silence feutré et à un doux parfum de café et de chocolat.
Dans le hall, les couleurs chaudes d'un parquet lustré reflètent la lumière grise qui tombe d'un haut plafond de verre. Au centre, le sol est orné d'une belle rose des caps façonnée en bois. Derrière le comptoir du customer service, deux hôtesses en uniforme nous accueillent en souriant. A gauche, un petit salon lambrissé, avec une cheminée en pierre dans laquelle crépite un feu de bois. Installé dans l'un des fauteuils à larges accoudoirs, Christophe sirote un café.
« Foncez les gars, c'est gratuit ! » nous annonce-t-il en indiquant du pouce le buffet derrière lui. Nous nous servons un gobelet, attrapons une ou deux pâtisseries et rejoignons Marc-Olivier dans la pilot lounge. Là, entre un billard, de profonds fauteuils de relaxation, une salle de sieste et une télé plasma, nous préparons le vol pour Boundary Bay.


Si l'aéroport de Boundary Bay (CZBB), situé près de Vancouver, n'est pas un terrain international de l'importance de Portland, c'est quand même l'un des aéroport les plus fréquentés du Canada avec environ deux cent mille mouvements par an. C'est aussi l'aéroport où Marc-Olivier a fait ses premières armes de pilote.
Je déplie la carte et termine rapidement mon log de nav, Vincent prend quelques photos et programme le GPS, Christophe révise les détails de sa navigation IFR (Instrument Flight Rules, vol aux instruments). Et Marc-Olivier téléphone aux douanes et dépose les plans de vol. En effet, nous allons traverser la frontière canadienne, ce qui nécessite d'une part de prévenir les douanes en leur donnant une heure d'arrivée à plus ou moins quinze minutes, d'autre part d'informer les services de la navigation aérienne de nos intentions en leur communiquant des plans de vol.
Ces formalités effectués, je sors faire une rapide pré-vol et préparer l'avion : vérification visuelle du contenu des réservoirs, test de la liberté des gouvernes, fonctionnement des feux et retrait des chaînes et des cales. Il fait sombre, Portland est écrasé sous un sinistre plafond gris, mais les bulletins météo que nous avons consulté prévoient que la couche de nuages ne descendra pas sous les deux mille pieds, et nous allons principalement survoler la mer parsemée d'îles de la baie de Seattle, qui sera largement sous cette hauteur.
Vincent me rejoint un peu plus tard avec une provision de cookies de toutes les couleurs et s'installe à bord. Une agréable odeur de chocolat envahit le cockpit.


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Nous décollons de la piste 28 droite, celle sur laquelle nous nous sommes posés une heure plus tôt. Nous traversons la Columbia River et la longeons par la droite, au dessus de l'agglomération de Portland et en direction du VOR de Battleground puis de la ville de Longview. La tour de contrôle nous transfère à Seattle Departure, notre premier contact de flight following. J'abrège la montée en atteignant deux mille cinq cent pieds : nous sommes juste sous le gris inégal du plafond nuageux, impossible d'aller plus haut.
En arrivant à Longview, nous laissons la Columbia River suivre son cours vers l'ouest et le Pacifique, et nous nous dirigeons vers le nord en survolant un de ses affluents. La visibilité commence à se dégrader, et le plafond s'abaisse, m'obligeant à descendre à deux mille pieds. Les hauteurs qui encadrent la rivière que nous suivons touchent les nuages. Avec Vincent, nous commençons à envisager d'abandonner le vol et de rentrer à Portland. Nous surveillons attentivement les alentours pour nous assurer que la vallée est assez large pour permettre un demi-tour, et que le chemin du retour ne se bouche pas. Incongru, un rayon de soleil traverse la couche comme un ruban doré, rebondissant sur l'eau grise de la rivière et illuminant un instant les alentours.
Nous décidons d'essayer d'aller jusqu'à la baie de Seattle : une fois au dessus de la mer, nous n'aurons au moins plus à nous inquiéter des reliefs.

« Cessna 75F, say altitude please ?
- We are at two thousand feet, 75F.
- 75F, you're to low for radar contact. Radar service terminated, squawk 1200. Good day. »
Évidemment, nous sommes trop bas pour profiter du flight following. Nous voilà donc tout seuls dans notre petit Cessna, isolés sous la masse immense et inquiétante des éléments. Nous avons une pensée jalouse pour Christophe et Marc-Olivier qui, en IFR, ont traversé les nuages dès le décollage et doivent actuellement naviguer en plein soleil au dessus d'une mer de coton immaculé. Nous apprendrons plus tard qu'ils ont même eu le bonheur de voir le mont Rainier dépasser de la masse échevelée, imposant sommet couronné de neige, solitaire et majestueux.


Mais en dessous, c'est moins marrant. Nous avons atteint les eaux du golfe. La visibilité est un peu meilleure, mais le plafond nous a fait descendre à moins de mille cinq cent pieds pour maintenir les conditions VFR. Insidieusement, le stress commence à se faire sentir. Concentré sur le pilotage, un peu crispé, j'essaye de rattraper la radiale VOR affichée sur le cadran de navigation, et qui matérialise la route que j'avais prévue. Mais je dois rester au dessus l'eau et zigzaguer entre les îles que l'on distingue dans la brume, fantomatiques, et je suis obligé de rester plus à l'est. Par moments, des gouttes de pluie viennent s'écraser sur la verrière du Cessna. Je ralentis un peu, pour nous laisser le temps de voir les nuages arriver et éviter de nous retrouver par inadvertance en IMC (Instrument Meteorological Conditions - conditions de vol aux instruments).
Vincent surveille le GPS et la carte. Il m'informe de la présence rassurante de plusieurs terrains aux alentours que nous pourrions utiliser si nous devions interrompre le vol. Nous en survolons quelques-uns, longues pistes en bitume et parkings déserts : aucun avion n'est dehors avec ce temps.

Le soleil n'est pas encore couché, mais il fait déjà très sombre. Après avoir dépassé Seattle, les îles se sont peu à peu éloignées les unes des autres, et les fjords que nous suivions se sont élargis jusqu'à déboucher sur une véritable baie. Nous avons pu rejoindre notre route au niveau du VOR de Whidbey, où nous avons enfin réussi à contacter un contrôleur qui nous a rapidement laissé aux bons soins d'un de ses collègues de Victoria Center. Les nuages sont un peu plus élevés et nous pouvons grimper avec soulagement à deux mille cinq cent pieds, au dessus de l'eau opaque du golfe de Victoria. Nous devrions presque être à Boundary Bay, Vincent sort l'annuaire des aéroports canadiens et l'ouvre à la page CZBB pour préparer l'arrivée.
Toujours tendus, nous scrutons l'horizon pour localiser la piste, mais ne voyons rien dans cette obscurité irréelle. Nous discernons la côte canadienne, bande de terre noire parsemée de lumières électriques jaunes et blanches, au delà de l'eau grise que nous survolons. Et soudain, le flash rotatif rouge et vert d'un aéroport. Un coup d’œil à la carte, une vérification sur le GPS : ça ne peut être que Boundary Bay. Enfin.
Ça y est, nous voyons la piste, longue bande noire encadrée d'une paire de chapelets de lumières. Le contrôleur de Boundary Bay m'autorise à rentrer directement en base pour me poser rapidement. J'essaye de lui expliquer que vais plutôt faire une verticale terrain pour bien me préparer à l'approche. Je bafouille, cherche mes mots, m'embrouille... Marc-Olivier, qui nous suit du sol avec sa radio portative, vient à ma rescousse et traduit mes intentions.
De toutes façons, nous sommes les seuls dans le circuit. Je me concentre sur mon atterrissage, Vincent s'occupe des communications radio, et quelques minutes plus tard le train principal de N4975F touche le sol canadien en douceur. Ouf !

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Je coupe le moteur au parking, et nous ouvrons les portes. L'air frais et humide qui s'engouffre dans la cabine fait du bien. La tête vide et les mains un peu tremblantes, nous répondons machinalement aux questions des douaniers canadiens qui nous attendaient sous le crachin de Vancouver. Malgré nos péripéties, et totalement par hasard, nous somme arrivés pile à l'heure que nous avions estimée en partant de Portland.
Nous retrouvons Marc-Olivier et Christophe au desk de la douane et pendant que nos passeports reçoivent les tampons canadiens, nous leur narrons nos aventures. Avec le recul, nous prenons lourdement conscience de nos erreurs, de nos mauvaises décisions, des risques que nous avons pris. Nous en discutons, nous remémorons le vol, essayons d'analyser nos erreurs... mais c'est trop tôt, nous sommes encore sous le choc.
Nous ressortons sous une pluie froide qui pétille dans la lumière des lampadaires, et nous bâchons et attachons les avions pour la nuit. Le mieux, c'est encore d'aller dîner et se coucher.

16 décembre 2008

Enfin !


Excellente surprise en ouvrant ma boîte aux lettres ce soir. Au milieu des habituels prospectus de pizzérias, ventes privées et obscurs marabouts, une missive couverte d'inscriptions en anglais. Je tâte l'enveloppe et discerne avec satisfaction qu'une forme solide est glissée à l'intérieur.
Je monte les escaliers quatre à quatre, ouvre la porte de mon appartement et déchire fébrilement le papier. Dedans, une jolie carte plastique frappée des armoiries de la FAA : ma license de pilote américaine définitive !

Comme dit Vincent, qui est toujours en avance sur moi, ça a une agréable odeur de Far West 2009.

Far West 2008, jour 3-1 : KMFR-KPDX

Jeudi 25 septembre 2008

Branle-bas de combat ce matin sur le tarmac de Medford. La veille, après avoir coupé le moteur, j'ai machinalement posé la clef de contact du N4975F sur la casquette du tableau de bord et cling, elle est tombée derrière l'habillage. Impossible de l'atteindre : il faut démonter la garniture. Et démonter est un euphémisme : arracher serait plus juste. Christophe, notre expert Cessna, s'arme d'un tournevis et tire, plie et tord la couche de simili-cuir dans tous les sens. Au prix de quelques contorsions, il parvient à s'emparer du sésame égaré. Une fois remise en place, la garniture, bâille un peu, mais nous avons retrouvé notre clef, que nous clipsons prudemment à un long ruban bleu pour éviter d'autres mésaventures.

Soulagés, nous profitons de la belle lumière matinale qui illumine les montagnes, et nous faisons quelques photos sur le parking où ont dormi nos avions.
Pendant ce temps, les Alex ont décidé de rentrer à San Francisco où ils pourront tranquillement visiter la ville (à pieds) en attendant que leur avion soit réparé. La location d'une voiture sera couverte par l'assurance de Plus One. Ils vont donc rouler vers San Francisco pendant que nous volerons vers Vancouver. Nous nous souhaitons mutuellement bon voyage sur le tarmac de l'aéroport : nous nous retrouverons dans deux jours.

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C'est Vincent le commandant de bord. Au parking, il explique au contrôleur qu'il souhaite bénéficier d'un flight following à destination de Portland.
« 75F, where are you going again ?
- Portland, 75F.
- Hmm... yes, but which airport ? »
En fait il y a plusieurs aéroports qui s'appellent Portland : Portland Hillsboro (KHIO), Portland Troutdale (KTTD), Portland International où nous nous rendons (KPDX), et un même un petit Portland Mulino (K4S9). Dire simplement qu'on va à Portland, ça manque effectivement de précision.
« Oh ! We are going to Portland International Airport, Kilo Papa Delta X-Ray, 75F. » clarifie Vincent en énonçant le code complet de l'aéroport.



Nous décollons de Medford et nous dirigeons vers le nord, presque dans l'axe de la piste. Nous survolons d'abord une immense forêt sombre qui ondule sur le relief accidenté et habille de larges plateaux aux lèvres rocheuses. Ça et là, des filaments nuageux s'étiolent sur les cimes des arbres, annonciateurs du mauvais temps qui recouvre la plaine au delà des Cascades. Conformément au briefing météo du matin de Marc-Olivier, l'horizon est barré par une large bande d'un blanc-gris rugueux. Nous laissons les montagnes des Cascades s'éloigner sur notre droite, et le relief se lisse progressivement. De gros nuages ébouriffés défilent maintenant sous nos ailes, de plus en plus élevés, auréolant parfois l'ombre de notre avion d'un halo arc-en-ciel. Plus loin, la couche se soude complètement et nous ne pourrons plus passer en dessous (il est interdit et dangereux de traverser les nuages en VFR - règles de vol à vue). Vincent se faufile donc dans un trou assez large entre deux nuages et nous met tranquillement en croisière juste sous le plafond gris.

Nous volons à présent au dessus d'une plaine qui, finalement, ressemble assez à la campagne d'Ile-de-France. Dans la pénombre du mauvais temps, des champs verts, quelques forêts éparpillées, des routes sinueuses, et parfois les ondulations scintillantes d'une rivière. L'omniprésence des stades de football américain et de baseball nous rappelle cependant que nous sommes bien en Oregon. Nous apercevons même un champ dans lequel a été jardinée une grande inscription incitant à aller voter le quatre novembre.
En suivant notre trajectoire du doigt sur la carte, je m'amuse à identifier les bourgs et les villes que nous dépassons : Eugene, Albany, Dallas, Salem... Vincent descend un peu pour rester à distance réglementaire des nuages. Nous traversons quelques averses.

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Avec le vent dans le dos, nous filons à un bon cent quarante nœuds, et Portland se rapproche rapidement. Nous écoutons l'ATIS sur notre deuxième radio, et notons soigneusement les informations qu'égrène inlassablement le système automatisé : pistes en service, météo, procédures IFR en vigueur... La voix synthétique est difficile à comprendre et Vincent et moi interprétons différemment la lettre symbolisant l'information courante : j'ai compris Delta, lui Kilo. Nous en débattons un instant, écoutons de nouveau la bande, mais campons sur nos positions respectives. Comme c'est Vincent le commandant de bord, je n'insiste pas, et je le laisse contacter l'approche de Portland avec Kilo. Silence de la contrôleuse... C'est Delta à Portland, et elle doit se demander où nous avons bien pu trouver un ATIS avec l'information Kilo. Elle nous fait quand même passer avec la tour.
« Cessna 75F... instructions for you to cross Portland midfield at two thousand. Contact Tower on 118 point 7, so long. »

Nous passons un pli du terrain et la ville de Portland se dévoile. Blottis le long des amples méandres de la Columbia River, des lotissements parsemés d'arbres émeraudes, des zones commerciales blanches et beiges, et tout autour des collines couvertes de forêts d'un vert presque noir. Les quelques rayons de soleil qui traversent la chape de nuages s'écoulent en tâches lumineuses sur le paysage. Au bord du fleuve, collé aux habituelles tours du centre ville, les trois longues pistes de l'aéroport de Portland International. En descente vers les deux mille pieds requis, nous déboulons à cent cinquante nœuds au dessus de la ville. A la radio, c'est un chatter incessant :
« Horizon Air 2533, contact departure, so long. »
« Skywest 5721, wind 170 at 6, 28 right, cleared for takeoff. »
« 30092SP, runway 28 right, position and hold. »
Le ciel est rempli d'avion qui partent et arrivent. Un DC-10 tout blanc se pose juste en dessous de nous sur la piste gauche.



Nous ralentissons en passant midfield, perpendiculairement aux pistes, à la verticale de la tour. Conformément aux instructions du contrôle, nous intégrons une vent arrière main droite pour la piste 28 droite, au dessus de la Columbia River. Déjà, nous recevons la clairance pour l'atterrissage :
« Cessna 75F, if able make a short approach, wind 170 at 7, runway 28 right, cleared to land. You're inside of a Learjet on a 8 mile final.
- Making a short approach for the runway 28 right, Cessna 75F. » répond Vincent sans hésiter. Et il incline le Cessna dans un virage serré afin de se poser rapidement sans gêner le Learjet qui sera en finale juste derrière nous, et qui lui aussi est d'ores et déjà autorisé à se poser en number two. Un pont qui enjambe la Columbia passe juste sous nos ailes, et nous voyons distinctement le trafic serré qui s'y croise.
Quand nous sortons du virage, nous sommes en (très) courte finale et la piste surgit d'un seul coup devant le capot. J'aide Vincent en sortant les pleins volets pour ralentir l'avion (et en surveillant nerveusement l'inclinaison et la vitesse). La contrôleuse nous indique qu'un Dash-8 se pose, parallèle à nous, sur la piste gauche. Les immenses chiffres blancs 2-8 peints au seuil filent sous nos roues, et nous touchons proprement le bitume zébré d'une multitude d'impacts de pneus.
A peine avons nous dégagé la piste qu'un Embraer est autorisé à décoller. Le Learjet que nous ne voulions pas gêner est toujours en finale, à un mille nautique.

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Actions après atterrissage : volets rentrés, transpondeur sur standby, phare d'atterrissage off, fenêtre ouverte et goutte de sueur frontale essuyée. Ce fut intense.
On reprend ses esprits, et on roule vers le FBO : Flightcraft. Un marshaller nous guide vers notre place de parking et, avec force signes des mains plus ou moins mystérieux, nous gare à coté du Duchess. Dès que le moteur est coupé, il place des cales sous la roue gauche. Nous le remercions et lui expliquons que nous allons bientôt repartir et que nous souhaitons juste le plein. Quand nous reviendrons, nous aurons simplement à jeter un coup d'œil pour nous assurer que les deux réservoirs sont bien remplis. Service à l'américaine.
Nous rejoignons Marc-Olivier et Christophe qui préparent déjà la suite du voyage dans les superbes locaux de Flightcraft.